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tout à fait tort. Les partis politiques brisent ou éliminent sans le moindre scrupule les instrumens dont ils n’ont plus besoin, et encore plus ceux qui les gênent. M. Brisson était devenu gênant. Pourquoi ? Parce crue son parti se voyait à la veille d’arriver au pouvoir, et qu’un parti dans cette situation éprouve toujours le besoin d’adoucir les termes de son programme, d’en enlever les épines et d’en arrondir les angles. Aussi M. Brisson ne correspondait-il plus aux circonstances. M. Bourgeois, au contraire, s’y adaptait parfaitement. Tout le monde sentait qu’il était le seul candidat capable de l’emporter sur M. Deschanel, parce que, comme M. Deschanel lui-même, il ne suscitait pas d’opposition personnelle et avait des amis sur tous les bancs de l’assemblée. Ce calcul s’est trouvé exact ; M. Bourgeois a été élu à 36 voix de majorité : victoire incontestable pour le parti radical socialiste, mais victoire remportée beaucoup plus par insinuation que de haute lutte, et qui aurait été beaucoup plus complète et plus significative avec M. Brisson. Dès le premier jour, le parti radical sentait la nécessité de s’atténuer. Cependant, en prenant possession du fauteuil, M. Bourgeois a prononcé des paroles qui sentaient la poudre, Cette Chambre, encore toute frémissante de la bataille électorale, aurait eu besoin d’être calmée plutôt qu’excitée, et M. Bourgeois ne lui a parlé que des invalidations à faire. On en a été surpris. On s’est demandé si ce langage était bien convenable dans la bouche d’un président. Hâtons-nous de dire que, lorsqu’il a été élu à titre définitif, M. Bourgeois a déclaré enfin qu’il dépouillait le harnais rébarbatif de l’homme de parti, et qu’il serait le président de tout le monde, uniquement soucieux d’assurer la liberté et la dignité de la tribune. C’est fort bien, et nous souhaitons qu’il reste fidèle à ses promesses.

Nous n’avons d’ailleurs aucune raison de croire qu’il ne le fera pas ; mais, avec M. Deschanel, la certitude d’être bien présidée aurait été encore plus grande pour la Chambre, parce qu’elle lui serait venue d’une épreuve de quatre années. Pendant toute la dernière législature, M. Deschanel a rempli avec une courtoisie parfaite et une impartialité absolue les fonctions présidentielles. Il a traversé des momens difficiles et même orageux, sans jamais rien perdre de son sang-froid, ni de son esprit d’à-propos, ni de sa fermeté lorsqu’il a eu à en user. On ne s’improvise pas président d’une Chambre : il faut de l’habitude et de l’expérience pour y montrer des qualités que M. Bourgeois acquerra peut-être, mais que M. Deschanel possédait. Si la Chambre avait songé seulement à son intérêt propre, elle aurait donc réélu M. Deschanel ; malheureusement, elle cherchait aussi autre