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de M. Bartels. Non seulement cet ouvrage a le mérite d’introduire, dans le sujet qu’il traite, un ordre et une clarté, une unité et un mouvement qui y ont toujours manqué jusqu’ici ; il atteste, en outre, une érudition d’autant plus remarquable qu’on la sent plus sincère et plus consciencieuse. L’autour a évidemment pris la peine de lire et de relire d’un bout à l’autre les écrits dont il nous parle : aussi bien s’y trouvait-il obligé par le point de vue nouveau où il s’était placé. Et son livre diffère encore de tous ceux de ses prédécesseurs par une liberté et une franchise de jugement qui en sont peut-être les deux traits les plus caractéristiques. Sur chacun des écrivains qu’il passe en revue, M. Bartels a une opinion bien à lui, et l’exprime sans jamais s’inquiéter des opinions antérieures qu’elle se trouve contredire. Son Histoire est certainement la plus libre qu’on ait depuis longtemps écrite en Allemagne : et je ne serais pas étonné qu’elle fut aussi la plus impartiale. Le fait est qu’on n’y voit point trace des partis pris qui gâtent, par exemple, les remarquables travaux de Scherer ou de Stern, de M. Brandès ou de M. Meyer. Le protestantisme de l’auteur ne l’empêche point de rendre justice aux écrivains catholiques ; son culte pour Gœthe ne va point jusqu’à l’aveugler sur l’importance du rôle qu’a joué le romantisme ; et, d’une façon générale, toujours il s’efforce de comprendre la signification véritable des divers écrivains de son pays, plutôt que de leur chercher querelle au nom de ses propres idées. Sa conscience de faire acte d’historien l’a presque constamment délivré des défauts où sont trop volontiers portés les critiques : c’est encore un des avantages qu’il doit, à la précieuse méthode dont il s’est servi. Mais il le doit aussi, en grande partie, à l’intention pour ainsi dire morale qu’il s’est proposée en écrivant son livre, et qui lui a permis de donner à celui-ci, en plus de l’unité d’une même méthode, l’unité plus profonde d’un même principe et d’une même direction.

Car l’ouvrage de M. Bartels est conçu tout entier dans un esprit qu’on serait tenté d’appeler « nationaliste. » L’auteur admet, avant toute chose, en thèse fondamentale, que la race allemande possède un caractère et des qualités propres, qui doivent l’avoir guidé dans l’évolution de sa littérature aussi bien que dans celle de sa vie politique. Ce qu’il demande avant tout aux écrivains de son pays, c’est d’être Allemands ; et le degré où ils le sont, est, à ses yeux, la mesure principale de leur valeur, non pas individuelle, mais générale, historique, je dirais presque sociale. Il ne méconnaît pas le talent de Heine, de M. Sudermann, des romanciers et des dramaturges contemporains : il leur reproche seulement d’avoir voulu introduire, dans leur littérature