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M. Brieux n’a jamais passé pour être un écrivain. D’ailleurs il ne s’en soucie pas. Mais il a une réelle entente de la scène, une abondance de production remarquable et d’excellentes intentions. À défaut de comédies d’un tour vraiment littéraire, il pouvait nous donner un théâtre qui fût encore d’une facture vigoureuse et serrée. Il semblait s’y acheminer et la Robe rouge était déjà beaucoup plus qu’une promesse. Le milieu y était indiqué en traits significatifs : on nous y présentait un exemple plausible de déformation professionnelle ; nous y assistions à une lutte de conscience et à un conflit de devoirs vraiment dramatique. Nous pouvions croire que l’auteur était désormais en possession de toute sa maîtrise. Les Remplaçantes nous causèrent une cruelle déception. Tandis que dans la presse et dans le public on louait à tour de bras l’œuvre nouvelle pour la hardiesse de son réalisme et la bienfaisance de ses intentions réformatrices, nous étions presque seul à refuser de nous associer à cet engouement. Nous y déplorions à la fois les procédés de facture sommaire et les tendances à une prédication déclamatoire. Nous craignions que l’auteur ne fût en train de dévier vers le genre du théâtre-conférence. L’événement n’a que trop justifié nos appréhensions. Les deux dernières pièces de M. Brieux, dont l’une a été lue au Théâtre-Antoine et l’autre est actuellement représentée à la Comédie-Française, ont montré avec évidence que l’auteur est engagé dans une voie où il compromet toutes ses qualités de dramaturge.

Des amis maladroits, à moins que ce ne soient des ironistes, ont qualifié M. Brieux d’apôtre. C’est aujourd’hui un qualificatif à bon marché. Un homme politique, pour peu qu’il ait harangué dans une société de secours mutuels, est salué apôtre de la mutualité. Nous avons des apôtres de l’anti-alcoolisme et des apôtres de la repopulation. Ce n’est pas d’apôtres que nous manquons, puisque aussi bien tout journaliste en est un dont l’apostolat change, à vrai dire, et se renouvelle avec les besoins de l’actualité. Le journalisme mène à tout : il a mené M. Brieux à être un homme de théâtre. Seulement le pli était pris et l’auteur dramatique a conservé les procédés de travail, les habitudes d’esprit, l’attitude et le ton qu’impose le journalisme. Un bon chroniqueur doit être prêt sur toutes les questions, sans avoir de compétence spéciale sur aucune. S’il est très consciencieux, il se documente dans les livres spéciaux, cite des faits, des chiffres, des statistiques, assène au public le poids de sa science toute neuve, et passe à un autre sujet. Son ignorance foncière de la matière qu’il traite le met à l’abri des timidités : il n’aperçoit aucune des difficultés qu’on