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le dehors ou la lettre du drame wagnérien. L’esprit en remplirait d’innombrables volumes ; ou plutôt, comme vous le savez, il les a déjà remplis[1].

La musique du Crépuscule des Dieux a ce caractère particulier, que les plus belles choses n’y sont pas nouvelles et que les choses nouvelles n’y ont pas le plus de beauté. Les personnages inconnus jusqu’ici : Hagen, Gunther et Gutrune, sont parmi les moins intéressans de la Tétralogie. Ils n’apportent rien ou presque rien avec eux. L’action même, plus dramatique en cette dernière soirée, a médiocrement inspiré le génie, plutôt épique et lyrique de Wagner. Telle scène qui devrait dominer l’œuvre, en marquer le sommet, y creuse au contraire un vide, un véritable trou. Pour le conflit atroce entre Brunnhilde et Siegfried ayant pris la forme de Gunther : surtout pour la confrontation, devant le peuple, du héros interdit et de la Walkyrie indignée, Meyerbeer, — oui, le Meyerbeer du quatrième acte du Prophète, — eût trouvé d’autres accens, d’autres mouvemens, d’autres imprécations. Il aurait créé là plus de vie et plus d’humanité. Faut-il le dire ? Oui, je crois qu’il le faut, ne fût-ce que pour soulager tant de personnes qui le pensent : les deux premiers actes du Crépuscule des Dieux, — qui durent plus de trois heures, — sont un océan de ténèbres et d’ennui, d’où n’émergent, comme des îles de joie et de lumière, que les pages composées d’élémens déjà connus. Tels sont d’abord certains fragmens de la scène interminable entre Brunnhilde et Waltraute, sa sœur, qui vient lui raconter la détresse et la mélancolie des dieux, avant-courrière de leur chute. Superbes sont aussi les épisodes symphoniques accompagnant les deux voyages, — aller et retour, — de Siegfried, entre la montagne et le palais. Le troisième acte enfin n’est tout entier splendide que parce que tout entier, — sauf le trio des filles du Rhin, et encore ! — il n’est qu’un sommaire, une table des matières colossale, un dernier regard jeté sur ce vaste univers poétique et sonore, dont la création a duré quatre jours. Ainsi la grandeur et la sublimité même de l’œuvre consistent beaucoup moins dans l’invention que dans la reprise, le rappel et le résumé.

Nouveau par la mélodie, par le chromatisme délicieux et par la douceur plaintive, le trio des filles du Rhin ressemble pourtant, par le rythme, par le ruissellement des notes et par certaines courbes des voix, au trio que chantaient, au début du Rheingold, les fraternelles

  1. Voyez particulièrement, pour l’analyse littéraire et philosophique de l’Anneau du Nibelung, le remarquable ouvrage de M. Lichtenberger : Richard Wagner poète et penseur ; chez Alcan.