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III

Nous avons vu que l’épi de galets enraciné à la falaise du Bourg-d’Ault avait peu à peu converti le golfe en lagune, et que cette lagune était devenue la riche plaine des Bas-Champs. Au Nord, la côte s’est transformée d’une manière encore plus sensible. Les amas de sable déposés par le flot, les apports de terre charriés par l’Authie, la Maye et la Canche, l’exhaussement du sol, enfin, ont graduellement repoussé la ligne de l’ancien rivage. Tout le territoire ainsi conquis sur la mer a reçu, nous l’avons dit dans une étude précédente, un nom qui rappelle bien son origine[1]. C’est le Marquenterre, — Mas-en-terre, — grande lagune morte que les marées d’équinoxe recouvraient encore périodiquement au XVIIe siècle et dont la partie centrale est devenue un polder de 12 000 hectares régulièrement colmaté et cultivé.

Les bancs, autrefois noyés, qui formaient dans la baie de Somme un archipel sous-marin, ont lentement émergé, et sont devenus des îles qu’on désignait sous le nom de « heurt » ou de « hoc, » et sur lesquelles les pêcheurs ont établi leurs premières cabanes. Telle est l’origine de Cayeux, de Hue, de Noyelles, du Crotoy.

Ces îles ont grandi d’année en année. Chaque marée y laissait quelques nouveaux dépôts, suivant cette loi générale que le flot qui pénètre dans un golfe, dans l’embouchure d’un grand fleuve ou dans le moindre fiord, y apporte plus de matières terreuses que n’en entraîne le jusant. Elles ont donc fini par se souder entre elles et aux rives du continent. La baie s’est graduellement rétrécie et crevassée ; elle continue à s’atterrir ; et on peut regarder comme certain que, dans un avenir plus ou moins éloigné, Saint-Valéry et le Crotoy, autrefois véritables ports de mer, deviendront, comme Abbeville, des ports intérieurs, presque des ports d’eau douce.

Vis-à-vis, sur la rive droite de la Somme, depuis la pointe où s’élèvent aujourd’hui les dunes de Saint-Quentin jusqu’à la colline qui domine Port-le-Grand, s’ouvrait un large golfe

  1. Voyez la Revue du 15 août 1901.