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auprès des troupes, » en les voyant défiler, il se serait jeté au lit et y aurait dormi trente heures. Saint-Hilaire, abandonné sans ordre, eut grand’peine à sauver son artillerie. Certains corps furent oubliés, entre autres celui de du Rosel, qui se trouva seul, le lendemain matin, avec cent escadrons. Sa retraite eût tourné au désastre, si le marquis de Nangis, celui-là même qu’avait autrefois distingué la Duchesse de Bourgogne, n’avait rassemblé quinze compagnies éparses et brillamment soutenu des combats d’arrière-garde qui permirent à du Rosel de ramener son corps intact à Gand, « après avoir causé une cruelle inquiétude pendant quatorze ou quinze heures qu’on ignora ce qu’ils étaient devenus[1]. » D’autres corps, abandonnés également et ne sachant de quel côté opérer leur retraite, firent marche en arrière, et se dirigèrent les uns vers Ypres et les autres vers Tournai, où ils furent heureusement recueillis par l’armée que Berwick, s’attachant aux pas du Prince Eugène, avait amenée de la Moselle à marches forcés. Mais d’autres, coupés de toute ligne de retraite, furent obligés de se rendre le soir même ou le lendemain. Du côté français, on avouait, les jours suivans, 4 000 prisonniers ; du côté des ennemis, on parlait de 7 000 ; et, admettant même que ce chiffre ait été exagéré, il n’en demeure pas moins certain que ce fut le grand nombre des prisonniers qui fit de l’affaire d’Oudenarde un véritable désastre, car, le jour même de la bataille, il paraît établi que les pertes avaient été égales des deux côtés.

Après les craintes d’un côté, les espérances de l’autre, qu’avaient fait naître la prise de Gand et celle de Bruges, les affaires avaient donc pris brusquement une tout autre face, et Marlborough avait raison lorsque, dans les nombreuses dépêches qu’il adressait en français, les jours suivans, aux petites cours d’Allemagne alliées à l’Angleterre, il parlait de l’éclatant succès que « le bon Dieu » (the Almighty, disait-il dans ses dépêches en anglais) avait accordé aux armes alliées. En France, au contraire, comme nous l’allons voir, le passage de l’allégresse au deuil fut brusque et douloureux.


HAUSSONVILLE.

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI, p. 191-192.