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il y a de très fortes raisons de douter qu’il ait jamais fait parvenir au Duc de Bourgogne un ordre aussi formel. Non seulement le Duc de Bourgogne n’en est jamais convenu, et il était trop consciencieux pour le nier, sauf à expliquer les raisons qu’il aurait eues de ne pas obéir ; mais d’Artagnan, dans le récit le plus complet que nous ayons de la bataille, n’y fait aucune allusion[1], et Saint-Hilaire dit formellement le contraire, car il accuse le Duc de Bourgogne, qui, dit-il, « étoit encore sans expérience militaire, » d’avoir trop facilement permis une attaque contre huit bataillons ennemis fortement postés, attaque brillante et valeureusement conduite, mais qui, en échouant, aurait contribué à compromettre le succès de la journée. La vérité paraît être que Vendôme ne fit preuve dans cette journée néfaste d’aucune des qualités brillantes par lesquelles il avait rétabli à Luzzara, à Cassano, les affaires compromises par ses propres imprudences. Reconnaissons à sa décharge qu’il avait affaire aux deux plus grands hommes de guerre qu’ait connus le commencement du XVIIIe siècle, et qui se trouvaient réunis contre lui : Marlborough et Eugène. Mais n’est-il pas sévère, comme le font quelques historiens, de reprocher à un jeune prince, qui assistait pour la première fois de sa vie à une grande affaire, de n’avoir pas été de force à leur tenir tête, et de n’avoir pas réparé, par sa propre initiative, les fautes d’un chef expérimenté, comme l’était Vendôme ?

L’issue de la journée aurait pu cependant demeurer incertaine sans une habile manœuvre, conçue par Marlborough sur le champ de bataille, et brillamment exécutée par le vieux maréchal d’Owerkirke, qui commandait les troupes hollandaises. Marlborough, s’apercevant que la droite de l’armée française était faible et dégarnie, le lança, à la tête d’une forte colonne, contre cette droite, qu’Owerkirke déborda par un mouvement tournant et qu’il attaqua de flanc. De ce côté se trouvaient précisément les Princes, c’est-à-dire le Duc de Bourgogne, le Duc de Berry et le Chevalier de Saint-Georges. Si vive et si brusque fut l’attaque, que les Français plièrent, et que « les valets de la suite de tout ce qui accompagnoit les Princes tombèrent sur eux avec un effroi, une rapidité, une confusion qui les entraînèrent avec une extrême vitesse et beaucoup d’indécence et de hasard[2]. » Dans cette confusion, les Princes furent même en danger d’être

  1. Voir le récit de d’Artagnan, dans Pelet, t. VIII.
  2. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI, p. 185.