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répondit Marlborough à Eugène, lorsque celui-ci lui demanda des nouvelles de sa santé, » et, quelques jours après, le Prince Eugène écrivait au comte de Gallas : « Je vous dis en confidence que, quand j’arrivai à l’année, tout le monde était dans la plus grande consternation, et que les discours les plus âpres (i più aspri discorsi) couraient de bouche en bouche. » Le général prussien Natzmer, qui était au quartier général, écrivait de son côté : « Milord duc était inconsolable de ces tristes événemens, et m’exprima avec une confiance touchante ses appréhensions de voir les choses tourner au plus mal pour nous, si les ennemis poursuivaient leur avantage avec une audace persévérante[1]. »

Du témoignage même des ennemis, il résulte donc que les circonstances étaient particulièrement favorables pour l’armée française, et qu’il dépendait de ses chefs d’en profiter. Mais autant il y avait de tiraillemens entre Vendôme et le Duc de Bourgogne, autant, entre Eugène et Marlborough, l’entente fut rapide, et ils conçurent ensemble un plan de campagne audacieux par lequel ils devaient réparer en quelques jours leur situation compromise.

L’entreprise sur Gand et Bruges avait déterminé un mouvement dans l’armée française. Pour appuyer la pointe hardie de Chemerault et de La Mothe et pour être en mesure de profiter de leurs succès, le Duc de Bourgogne et Vendôme avaient décampé de Braine-l’Alleud ; par la route qui va de Ninove à Alost, ils avaient marché dans la direction de Gand. Mais leur marche fut lente : ils mirent quatre jours à faire six ou sept lieues. Le 6 juillet, l’armée campait à Ninove, le 8 à Ledde ; ce n’était que le 10 qu’elle arrivait sur les bords de l’Escaut, où elle s’établissait aux environs de Gavre, c’est-à-dire quelques lieues au-dessous d’Oudenarde[2] et au-dessus de Gand.

Les discussions incessantes entre les deux chefs qui se partageaient le commandement avaient été la cause de ces lenteurs. Vendôme, aussitôt reçue la nouvelle de la prise de Gand, avait été d’avis de mettre le siège devant Oudenarde, dont la prise aurait rendu les Français maîtres de tout le cours de l’Escaut, et aurait

  1. Campagne del Principe Eugenio di Savoia, t. X, livre II, p. 311, et supplément no 105. (Cet ouvrage est la traduction de celui publié par le grand état-major autrichien sous le titre de Feldzüge (les Prinz Eugen.)
  2. Toutes les cartes belges portent aujourd’hui Audenarde. Mais les récits contemporains parlent toujours d’Oudenarde. Nous avons cru devoir conserver l’orthographe ancienne.