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pour luy. » En même temps Vendôme écrivait au Roi : « M. le Duc de Bourgogne trouve qu’il est bien difficile que cette entreprise réussisse. Pour moy, quelques difficultés qu’il y ait, je trouve toujours qu’il faut entreprendre, lorsqu’il y a beaucoup à gagner et rien à perdre ; » et, à l’appui de ce projet, il envoyait un long mémoire ; d’où, pendant une semaine, échange de courriers qui mettaient de deux à trois jours à aller et autant à revenir. Le Roi finissait par refuser son approbation au projet ; d’où quelque mauvaise humeur de Vendôme. « Il est encore entêté de son entreprise sur Bruxelles, écrivait le Duc de Bourgogne à Chamillart ; j’espère que cela passera avec le temps[1]. » Mais tout le mois de juin s’écoulait ainsi ; et, l’avant-dernier jour du mois, le Duc de Bourgogne pouvait, avec trop de vérité, écrire à son frère : « Nous sommes ici fort tranquillement depuis le commencement du mois… Nous sommes dans une situation à nous porter à droite ou à gauche selon qu’il nous plaira et y prévenir toujours les ennemis, qui attendent nos mouvemens pour régler les leurs ; ils sont entre leurs places, et n’ont pas marqué tant de désir de combattre qu’ils le publioient auparavant. Il faut espérer que la campagne, qui a bien commencé, se continuera de même et que Dieu, nous protégeant, nous conduira à une bonne et heureuse paix. » Moins les ennemis marquaient de désir de combattre, plus il semble qu’il aurait fallu les y contraindre, et cette attitude passive n’était pas assurément le meilleur moyen d’arriver à une heureuse paix. Mais, entre un capitaine expérimenté et un prince de vingt-six ans, n’était-ce pas au premier qu’il appartenait de concevoir un plan de campagne hardi et de l’exécuter vigoureusement ? Si Vendôme avait proposé au Duc de Bourgogne de porter l’armée en avant et de marcher droit à l’ennemi, celui-ci ne s’y serait certainement pas refusé, et c’est au premier bien plus qu’au second qu’incombe en bonne justice la responsabilité de cette inertie déplorable.

Pour le Duc de Bourgogne personnellement, ce temps perdu ne fut cependant pas un temps de loisir et de mollesse. Par le Mercure, qui avait, comme nous dirions aujourd’hui, un correspondant au camp, nous savons comment il employait ses heures, et nous voyons qu’il se dédommageait de l’inactivité militaire par l’activité personnelle. Il ne se passait point de jour qu’il ne

  1. Dépôt de la Guerre, 2080. Le Duc de Bourgogne à Chamillart. 14 juin 1708. Vendôme au Roi, même date. Le Duc de Bourgogne à Chamillart, 18 juin.