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Drouyn de Lhuys, qui n’était pas davantage dans la confidence, ne fut pas content. Il télégraphia à notre ambassadeur à Pétersbourg : « Vous pouvez affirmer hautement que le prince est parti à notre insu. (Il aurait dû dire : à mon insu.) Le prince, ajoutait-il, est membre de la famille royale ; il occupe un grade dans l’armée : je ne m’explique pas qu’il ait pu, dans les circonstances présentes, s’éloigner sans l’agrément formel du Roi[1]. » Quant à Napoléon III, il se réjouit du succès de son protégé.

Clarendon apprécia très sévèrement la conduite du gouvernement prussien el, malgré les assurances de Bernstorff, son ambassadeur, que le prince avait agi à l’insu du Roi, il ne douta pas du contraire. Mais en même temps il laissa voir sa conviction « que la Prusse n’aurait pas toléré cette aventure sans s’être ménagé les bonnes dispositions de la France[2]. »

A Vienne, Mensdorff insista plus que Clarendon sur la connivence française, accusant notre agent à Bucharest d’avoir encouragé l’élection. « Je nie le fait, télégraphiait à d’Avril Drouyn de Lhuys, car il serait trop contraire à vos instructions. » — « Vous pouvez nier, répondait d’Avril, personne ne pouvait ni encourager ni décourager (23 mai). » Le démenti n’était pas cru, et, en effet, s’il valait pour Drouyn de Lhuys, il ne valait rien pour l’Empereur.

Le ministre italien à Berlin, Barral, le télégraphiait à La Marmora : « Le gouvernement prussien était certainement de connivence avec le départ et l’acceptation de la couronne du prince de Hohenzollern ; mais, maintenant qu’il espère qu’à l’aide du vœu des populations et du fait accompli, le prince pourra se maintenir, il manœuvrera de manière à ne pas heurter la politique de la Russie, qu’il a le plus grand intérêt à ménager[3] (31 mai 1866). » Moustier, alors ambassadeur à Constantinople, télégraphiait : « On comptait sur le refus du prince de Hohenzollern. On se croyait d’autant plus fondé à l’espérer que les nouvelles reçues de Berlin semblaient rassurantes à cet égard (30 mai 1866). »

De Vienne, Mosbourg écrivait : « L’opinion publique consent difficilement à ne voir dans cette entreprise aventureuse qu’un acte d’initiative personnelle. On accuse généralement la Prusse

  1. Drouyn de Lhuys à La Tour d’Auvergne, 22 mai 1866.
  2. De La Tour d’Auvergne, 23 mai et 24 avril 1866.
  3. La Marmora, Un po piu di luce, p. 260.