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pour le prier de bénir leur élu et de le rendre digne de ses ancêtres et de la confiance que la nation entière a mise en lui. » Le prince Antoine considérait tellement le roi Guillaume comme le maître de l’affaire que c’est à lui et non à son fils qu’il manda ce télégramme, et c’est le Roi qui le communiqua au prince Charles, le 16 avril à huit heures du matin.

Il ajoutait à cette communication : « Ton père t’a probablement communiqué la proposition, il faut que tu restes absolument réservé, car il y a de grosses objections, la Russie et la Porte étant jusqu’ici contre un prince étranger. » Le prince répondit : « Je reconnais parfaitement les grandes objections politiques qui sortent au premier plan. Je me guiderai toujours d’après les prescriptions de Votre Majesté[1]. » Toutefois, emporté par sa fougue ambitieuse de jeunesse, il écrit le même jour à son père « qu’il est fermement décidé d’accepter la couronne roumaine et de se rendre à Bucharest en dépit de l’avis de la Conférence. » Le père le calme, le rappelle à la raison : « Ton idée part d’un bon sentiment, mais rien que la considération de la discipline de famille la rend déjà irréalisable. »

Les Roumains, qui n’avaient pas à se préoccuper de la discipline de famille, trouvaient l’idée du prince si peu irréalisable qu’ils se mettaient en mesure de la réaliser. Leur gouvernement provisoire, sans tenir aucun compte de la décision de la Conférence, avait convoqué une Constituante. Cette assemblée, composée de 114 députés, dont 36 Moldaves, déclara, pour la dernière fois, que : « la volonté immuable des Principautés est de rester pour toujours une Roumanie une et indépendante, sous la souveraineté héréditaire d’un prince étranger, et que le prince héréditaire de la Roumanie est le prince de Hohenzollern, que l’assemblée vient à son tour de proclamer sous le nom de Charles Ier (13 mai 1866). »

Comme le prince Antoine, les puissances attendaient la décision du roi Guillaume. Drouyn de Lhuys, quoique ignorant le manège Cornu-Braliano, sur les ordres de son maître, chargea Benedetti d’exprimer sa satisfaction de l’événement heureux qui allait s’accomplir dans la famille royale de Prusse. La Russie et la Turquie, par des raisons diamétralement opposées, n’éprouvèrent pas la même satisfaction : la Russie ne voulait pas de la

  1. Mémoires du prince Charles, p. 7. — Confirmé par Benedetti à Drouyn de Lhuys, 6 avril 1866.