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comme partout, n’intervient que comme le chœur dans la tragédie antique, pour se lamenter ou s’applaudir de l’action à laquelle il est demeuré étranger. Ils s’appliquèrent à débaucher l’armée. Un comité se forma, composé de 700 à 800 membres, qui s’imposèrent une cotisation mensuelle de deux ducats ; on se procura, je ne sais comment, d’autres ressources ; l’on acheta des officiers dont un certain nombre devaient être atteints par des réformes financières annoncées, et, grâce à cette corruption, l’armée avait abandonné son chef, et la conjuration n’avait rencontré nul obstacle.

Couza, transporté au palais de Kotroceni, adressa à un des membres du gouvernement une adhésion au nouveau prince proclamé, sollicitant de quitter le territoire. On le lui permit. Accompagné par un de ses aides de camp jusqu’à la frontière, il s’en vint à Vienne et visita incognito Gramont, notre ambassadeur. Son langage fut sans amertume. Il n’accusait personne et il quittait sans regret un trône qu’il avait occupé sans satisfaction. Seulement, convaincu que l’empereur Napoléon III était le soutien le plus efficace de la Roumanie, quoiqu’il n’eût d’autre désir que de s’ensevelir dans sa retraite, il se montrait prêt à se rendre à Paris si l’Empereur trouvait quelque intérêt à l’interroger. L’Empereur ne crut pas devoir accepter cette offre ; Couza ne revint plus au pays natal que dans un cercueil et cette fois au milieu des ovations. Il avait été un innovateur audacieux, un patriote dévoué, mais il avait donné prise sur lui par l’incorrection de ses mœurs, vivant presque publiquement avec une princesse ***, tandis que sa femme était reléguée dans un coin du palais. On ne peut non plus l’exonérer de toute responsabilité dans les désordres financiers de son administration ; toutefois, on a eu tort de ne pas le reconnaître, ce sont les hommes de 48 surtout, qui gaspillèrent les belles ressources laissées par le prince Bibesco ; et, si aucun remède ne put être apporté à cette déplorable situation, cela tint à l’anarchie dans laquelle les partis implacables plongèrent systématiquement le pays, afin d’en discréditer le chef.


V

En Turquie, on savait Couza miné, et sa chute prochaine ; mais on ne prévoyait pas un dénouement aussi brusque.