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rendre compte de la différence qui existe entre les frontières actuelles de la France et celles qu’elle avait en 1814. Toutefois, il glissa et se contenta de dire : « Nous verrons plus tard. Le gouvernement prussien peut compter sur ma neutralité bienveillante et le Roi sur mon amitié ; nous nous entendrons facilement, je l’espère. » Il ne spécifiait pas davantage, parce qu’il ne pouvait honorablement et raisonnablement réclamer une compensation sérieuse avec l’espérance de l’obtenir. Empêcher ou permettre sans condition : il n’y avait pas d’autre alternative. Une permission doublée d’un marchandage hypothétique donnait un air de duplicité et n’eût été qu’une débilité d’esprit.

Goltz considéra « comme un avantage que l’Empereur, ajournant les négociations, lui eût épargné le désagrément de le froisser par le refus d’un désir exprimé. » Bismarck continua à se demander : Que veut donc l’Empereur ?

Un événement imprévu détourna un moment sa pensée de l’interrogation à laquelle il ne trouvait aucune réponse.


III

Le 24 février 1866, on apprit dans toutes les capitales d’Europe que le prince de Roumanie, Couza, venait d’être renversé. Le 23, à sept heures du soir, un jeune inconnu, se présentant au Prince, lui dit : « Monseigneur, une révolution doit éclater cette nuit. » Couza, comptant sur la fidélité des chasseurs, sa troupe de confiance, de garde ce jour-là, rassuré, en outre, par les renseignemens de son préfet de police, ne tint nul compte de l’avertissement. A trois heures du matin, il est réveillé en sursaut : des officiers font irruption dans sa chambre, où il était avec sa maîtresse. Le pistolet en main, ils le somment de signer son abdication : il hésite un moment, signe, puis s’habille ; on le conduit dans une maison particulière. De là il envoie son valet de chambre instruire notre consul général du lieu de sa retraite. Le consul le trouve très calme : « Je n’ai cédé, dit-il, à aucune contrainte matérielle, mais au désir de mettre fin à un rôle qui me pesait depuis longtemps. » Il le prie d’insister dans ses rapports pour le respect des vœux du pays et de détourner un certain colonel Salomon de l’idée de soulever son régiment en sa faveur.

Un gouvernement provisoire, constitué dans l’ombre, fut