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A Colenso, après la retraite, lorsque les ambulances boers parcoururent le champ de bataille, elles trouvèrent des troupes blotties dans des plis de terrain, d’où elles n’avaient pas pu sortir.

La durée de la lutte dans de telles conditions amène chez les troupes un épuisement physique considérable, déterminé par la tension nerveuse. Ainsi s’explique l’impuissance de certaines troupes à reprendre la lutte le lendemain des échecs, et même après des succès. A plus forte raison n’ont-elles pas pu poursuivre en fin du combat.

Cela, dira-t-on, a existé de tout temps. Sans doute, mais l’épuisement nerveux s’est accru dans des proportions insoupçonnées, en raison de l’invisibilité de l’adversaire. Celle-ci agit directement sur le moral de l’homme, sur les sources mêmes de son énergie et de son courage. C’est la principale raison de son importance capitale. Le combattant qui n’a pas son ennemi devant les yeux est tenté de le voir partout. De cette impression à l’incertitude, puis à la crainte, il n’y a qu’un pas. Les troupes n’ont pas été immobilisées des journées entières à Maggersfontein, Colenso, Paardeberg, souvent à plus de 800 mètres de l’ennemi, par l’effet matériel de leurs pertes, mais bien par la dépression morale produite au seuil de la zone efficace de mousqueterie.

Il est un fait plus important encore qui, maintenant, domine le combat rapproché. C’est l’impossibilité dans laquelle se trouve le commandement de s’exercer sur les lignes de feu sérieusement engagées. L’action des officiers qui marchent avec ces lignes est elle-même restreinte. C’est à peine s’ils peuvent agir sur les trois ou quatre hommes qui sont à leurs côtés. Le combat est aux mains de chaque combattant, et jamais à aucune époque la valeur individuelle du soldat n’a eu plus d’importance.

Quels que soient la science du commandement supérieur, le succès de ses combinaisons stratégiques, la précision de ses concentrations, la supériorité numérique qu’il aura su se donner, la victoire lui échappera, si le soldat n’agit pas de lui-même sans avoir besoin d’être surveillé, et s’il n’est pas personnellement animé par la résolution de vaincre ou de périr. Il lui faut une somme d’énergie beaucoup plus grande que par le passé.

Il n’a plus, pour le soutenir, les griseries des anciennes attaques en masses. Autrefois, l’angoisse de l’attente lui faisait désirer le coup de violence, dangereux, mais bientôt passé. Maintenant, pendant de longues heures, toutes ses forces morales et