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aux Hongrois les ruines de Visegrad, aux Serbes les murailles de Semendria et la forteresse de Golubac, aux Roumains quelques monastères. En l’ace d’Orsova, l’empreinte romaine était trop profonde pour ne point sauver de la dévastation la table de Trajan. Mais ailleurs, rien n’est resté : Pesth, Belgrade et Bucarest sont villes refaites d’hier ; les agglomérations des plaines hongroise ou roumaine, les échelles du Danube gardent l’aspect de grands villages. L’histoire ne vit plus là que dans les noms des traités et des batailles ; Nicopoli et Mohacs rappellent la défaite de la chrétienté ; Saint-Gothard et Zenta, la reconquête contre les musulmans ; d’une part, Jean Huniade ; de l’autre, Montecuccoli et le Prince Eugène de Savoie. Les négociations de Carlowitz, de Passarowitz, de Belgrade et de Sistowa marquent les étapes progressives de l’influence autrichienne ; l’action russe est descendue par la Moldavie vers les bouches du Danube. De ce côté, le souvenir des Russes est partout, et nombreux sont les monumens, en forme de pyramide, par eux élevés en mémoire de leur passage ; ils ont successivement traité sur le Pruth, à Focsani, à Kaïnardji, à Jassi et à Bucarest ; et c’est laque s’est peu à peu constituée dans le droit public la Russie méridionale.

A mesure que l’on avance vers la Mer-Noire, se produit insensiblement la transition de l’Occident à l’Orient. Les stipulations de Carlowitz maintiennent encore à Bude une modeste mosquée ; mais, à partir des Portes-de-Fer, l’Islam a gardé ses prises ; la petite île d’Ada-Kaleh reste un dernier coin d’Asie enfoncé au pied des Carpathes. Les minarets dominent toutes les villes de la rive droite du Danube, de Widdin à Silistrie ; la Roustschouk bulgare se dégage à peine de l’ancienne ville turque ; les voiliers ottomans, à la proue recourbée au-dessus de l’eau, remontent du Bosphore vers les divers ports du fleuve ; la population turque persiste en Bulgarie, les Tartares dans la Dobroudja. Enfin, la culture germanique, venue de l’Europe centrale, a imprégné la Hongrie tout entière, tandis que la culture française, remontant de la Méditerranée, a pénétré la Roumanie, si bien que les Carpathes forment exactement la frontière entre les deux civilisations.

Au point de vue ethnique, la Hongrie et la Roumanie présentent un caractère également oriental, c’est-à-dire que les races les plus diverses s’y sont juxtaposées sans se confondre et que toutes les croyances y cohabitent les unes à côté des autres. La