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désormais parsemé d’îles jusqu’à la mer, se déroule au milieu de la verdure pâle des saules ; les troupeaux de buffles, précurseurs de l’Orient, commencent à apparaître sur ses berges basses. Un long défilé, qui marque la rencontre du Balkan avec les Carpathes, sépare le bassin moyen du bassin inférieur ; la passe de Kasan resserre le fleuve dans une étroite coupure de rochers, toute fleurie, au printemps, de lilas et de sureaux sauvages. Après avoir franchi les écueils des Portes-de-Fer, le Danube longe les pentes de la rive bulgare, puis les collines de la Dobroudja ; s’enfonce dans la balta sans issue de la rive roumaine, pour se jeter enfin dans la Mer-Noire par trois bouches différentes.

Depuis l’ouverture du canal des Portes-de-Fer, en 1895, les deux bassins sont assez efficacement réunis pour la navigation ; mais le gouvernement hongrois, désireux de fermer le plus possible la route fluviale à la concurrence agricole des pays balkaniques, tend à maintenir, par l’élévation des taxes, les barrières primitives. Aussi le Danube reste-t-il, en fait, dans son cours moyen comme dans son cours inférieur, principalement réservé au commerce local. Le port de Pesth sert d’entrepôt aux bois, aux céréales, au sel et aux charbons venus de la Hongrie méridionale et, par la Save, de la Bosnie et de la Croatie ; sur le Bas-Danube, les schlepps apportent les céréales roumaines et bulgares jusqu’à Braïla et Galatz, d’où elles sont réexpédiées par la voie de mer ; les mêmes ports reçoivent, par le Séreth, les bois flottés de la Bucowine.

Les traités de Paris et de Berlin ont successivement proclamé la liberté du Danube ; mais, en réalité, les Hongrois ont su s’y prendre pour dominer leur propre bassin et s’assurer la docilité des Serbes dans la partie commune aux deux États. Le fleuve appartient aux deux compagnies autrichienne et hongroise de navigation, qui y ont organisé l’alternance de leurs services : une compagnie allemande n’y peut mener qu’une existence intermittente et précaire (Süddeutsche Donau Bampfschiffsfahrt Ges.). Plus bas, l’indépendance du Danube est mieux garantie : les divers États riverains ont créé des sociétés de navigation, serbe, bulgare et roumaine, qui réussissent au moins à gâter les affaires de leurs puissantes concurrentes austro-hongroises. Les Russes font remonter jusqu’en Serbie les bateaux de la compagnie de navigation de la Mer-Noire (anciennement Gagarine) ; On rencontre sur le Bas-Danube des voiliers ottomans, des