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Serait-ce un autre ? M. Brisson avait l’ancienneté, M. Bourgeois la bonne grâce, un autre aurait pu avoir l’attrait de l’imprévu et de la nouveauté : on avait parlé de M. Doumer. Mais cette candidature a été abandonnée ; celle de M. Brisson a été repoussée par les radicaux eux-mêmes ; finalement la préférence a été donnée à M. Bourgeois. M. Bourgeois et M. Deschanel seront donc les deux concurrens. Nous espérons bien que M. Deschanel l’emportera ; mais, que ce soit lui ou M. Bourgeois, il n’y a pas de grandes illusions à se faire sur les conséquences pratiques de l’événement. Si M. Deschanel est élu, ce sera un succès pour les modérés ; s’il ne l’est pas, ce sera un échec pour eux. Dans le premier cas, tout ne sera pas gagné ; dans le second, tout ne sera pas perdu. Qu’on se rappelle ce qui s’est passé il y a quatre ans. Après une lutte pied à pied, M. Deschanel a été élu contre M. Brisson. Quelques jours après, M. Brisson, tout battu qu’il était, a été chargé de former le premier cabinet de la législature. Cela nous a rendu sceptique sur ce genre d’indication à l’adresse du Président de la République : évidemment, elle n’a pas paru péremptoire en 1898, et nous reconnaissons qu’on peut en trouver d’autres ailleurs. Au reste, qu’il se laisse guider par celle-ci ou par celle-là, c’est à lui d’en décider : tout ce que nous lui demandons, c’est de le faire vite.

Et, puisqu’il veut une politique d’apaisement, qu’il fasse un ministère d’apaisement. S’il ne devait rester des paroles qu’il a prononcées à Brest que son dithyrambe sur M. Waldeck-Rousseau, cela serait fâcheux. Nous demandons la réalisation de l’autre partie de son discours : elle sera bien accueillie par le pays, qui s’est montré également éloigné de tous les extrêmes. Le prochain ministère doit avoir une signification politique bien nette. De toutes les solutions, la plus mauvaise serait un ministère Waldeck-Rousseau sans M. Waldeck-Rousseau, même sans M. Millerand. Les socialistes ont décidé eux-mêmes qu’ils ne feraient pas partie du gouvernement ; ils se contenteront, par modestie, de le diriger. Ah ! par exemple, s’il ne se laisse pas diriger par eux, on verra des choses terribles ! Mais les socialistes n’ont aucune crainte à ce sujet ; ils sont certains d’être les maîtres ; ils le disent du moins, et ils le seraient sûrement, si on nous donnait un misérable gouvernement de doublures. Espérons que M. le Président de la République nous en confectionnera un d’une étoffe plus solide. Avisé avant son départ pour la Russie de la décision de M. Waldeck-Rousseau, il a eu le temps de réfléchir à ce qu’il devait faire ; il a prononcé un mot précieux ; il a fait naître une espérance : le moment est venu d’en faire une vérité.