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En quelque ordre de choses que ce soit, il y a donc, et supposé qu’on ne le connaisse pas actuellement, il doit y avoir un critérium ou un juge de la vérité. Ce « critérium » est toujours extérieur à l’individu, et ce « juge » n’est jamais nous. La vérité ne dépend pas de l’adhésion que nous lui donnons. Elle est au-dessus, ou en dehors de nous, soustraite en fait et par définition aux fluctuations des opinions personnelles. C’est ce que personne peut-être n’a mieux vu qu’Auguste Comte, et depuis lors, dans la voie qu’il avait ouverte, c’est l’idée qu’un Claude Bernard, en médecine, un Renan, dans le domaine de l’exégèse et de la philologie, un Taine, en critique, se sont efforcés de faire prévaloir contre le « subjectivisme » de leurs contemporains. Les opinions ne sont pas libres. Est-ce qu’on est libre de croire que c’est le soleil qui tourne autour de la terre ou que la vie s’engendre directement de la matière ? On ne l’est pas davantage en histoire, en morale, en sociologie, non pas même en littérature ou en art, d’avoir une opinion, son opinion et, comme on dit, son goût : il y a toujours un critérium, un fondement objectif du jugement critique. Et on peut d’ailleurs se tromper dans l’application de ce critérium, ce qui est l’une des origines de la diversité des opinions des hommes ! On peut ne pas savoir où est ce critérium, auquel cas l’obligation qui s’impose à nous, la première et la plus impérieuse, est donc alors de le chercher. Mais qu’il existe, voilà ce qui n’est pas douteux. La langue elle-même ne le déclare-t-elle pas quand elle parle de « lois positives, » de « morale positive, » de « religions positives ? » Toutes ces expressions impliquent la réalité de leur objet. Elles impliquent surtout celle de l’idée inaccessible ou cachée, dont elles ne sont que l’imparfaite et changeante traduction. Et, le subjectivisme nous apparaissant ainsi comme la négation, non seulement de la science, mais de la société même, — en tant qu’elle ne peut reposer que sur une communauté de croyances, — voilà pourquoi, dans la lutte éternelle contre le subjectivisme, et le dilettantisme, et le scepticisme, et l’individualisme, les croyans, tous les croyans, de quelque croyance qu’ils se réclament, n’auront jamais de plus sûr allié qu’Auguste Comte et le positivisme.

Mais, dira-t-on peut-être ici, le même Auguste Comte n’a-t-il pas enseigné qu’il n’y a qu’une « maxime absolue » qui est qu’il n’y a rien d’absolu ; et si tout est « relatif, » par quel biais accorderons-nous la condamnation du subjectivisme avec cette