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recueillir. Ce n’est pas en peignant les figures d’hommes supérieurs ou de femmes d’une puissante séduction que les grands portraitistes ont réalisé leurs chefs-d’œuvre : c’est avec des figures insignifiantes. Velasquez et Van Dyck sont là pour le prouver. « La force réelle des maîtres anciens, a très bien dit Ruskin, n’a jamais été portée davantage à son apogée que lorsqu’elle s’est appliquée à peindre un homme ou une femme, et l’âme qui était en eux, — non que ce fût toujours l’âme la plus haute, mais souvent seulement une âme déprimée, mais qui était capable d’élévation, ou peut-être pas même cela, — une âme pauvre et errante, mais vue, selon le pauvre petit mieux qui était en elle, par l’œil d’un maître. »

Aussi la plus injuste des prétentions du modèle est-elle que le peintre découvre cette individualité ou cette âme à première vue et la plus injuste de ses plaintes celle du grand nombre de séances demandées. Quand même l’artiste en exigerait soixante, comme pour l’un des portraits de ces deux Salons, qu’est-ce que cela, par rapport aux années que le portrait durera d’abord dans la famille du modèle, ensuite dans la grande famille de l’art ? C’est à celle-là aussi qu’il faut penser, du moment qu’un grand artiste est appelé pour une besogne que remplissent déjà si bien les photographes et c’est pourquoi l’on ne peut refuser quelques jours pour une œuvre destinée à durer toujours.

C’est pourquoi, enfin, on doit laisser au dernier rang des préoccupations la ressemblance. On l’y laisse en effet, dans un certain sens, puisqu’on la sacrifie volontiers à l’ « idéalisation. » Mais ce n’est pas à l’ « idéalisation » qu’il faut la sacrifier, c’est à la vie. Beaucoup de gens jugent un portrait dans le même esprit qu’une allocution de messe de mariage ou qu’une oraison funèbre : il faut qu’il rappelle la personne dont il s’agit, mais sans aucun des défauts, ni même des singularités qui la dessinent, sinon ce que peuvent en exprimer quelques traits généraux, — rien que des qualités. Mais ce sont là des modes bonnes seulement pour des épitaphes. Sans défauts, il n’est rien de vivant. Toutefois ce souci montre que, déjà, la ressemblance absolue n’est pas souhaitée par le modèle.

D’ailleurs, elle ne peut être contrôlée que par un nombre infime des visiteurs d’un Salon, et dans l’avenir, après une génération passée, elle ne le sera plus par personne. Enfin, elle est chose beaucoup moins objective qu’on ne s’imagine. Devant le