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paysan français, M. Lhermitte, un pauvre hère de chemineau, qui avait posé pour lui. Cette naïveté est un enseignement. Dans le portrait, le modèle joue un tel rôle, il choisit et dispose tant d’élémens de succès que, s’il a du goût, sa collaboration peut aider l’artiste et, s’il n’en a pas, il peut l’aider encore en s’abstenant de toute exigence saugrenue. Léonard de Vinci a écrit un curieux chapitre sur ce sujet : Comment on doit peindre les femmes, et Rubens y a ajouté un assez piquant formulaire de sa façon. Mais à cette question : « Comment les femmes doivent-elles se faire peindre ? » ces maîtres qui auraient eu tant à dire, et qui l’auraient dit de si haut, n’ont pas fait de réponse. Cependant, d’après les notes qu’ils ont écrites et les œuvres qu’ils ont laissées, on peut s’en faire quelque idée.

D’abord, le choix du peintre. Ce n’est pas le même, qui trouvera, sur sa palette, ce qu’il faut pour reproduire une coloration brune, des traits soulignés, une violente opposition de valeurs, et au contraire les lueurs froides et perlées des visages sans relief et lymphatiques, les ombres exhalées sur des plans à peine sensibles, les traits incertains perdus dans le remous des chairs. C’est pourquoi le premier soin d’une femme doit être de choisir exactement non pas le peintre qui la fera ressembler au portrait de telle personne qui lui plaît, mais qui le fera ressembler à elle-même et dont le coloris habituel reproduit déjà sa couleur. Elle doit distinguer, dans le succès d’un portrait, ce qui est de l’interprète et ce qui est du modèle et ne pas s’imaginer qu’en prenant le même interprète un objet tout différent sera susceptible de la même interprétation.

Le second point est le choix de la toilette. Le devoir du modèle, ici, consiste essentiellement à ne pas choisir, car nul n’est plus mauvais juge. Il importe très peu qu’une toilette ait eu le succès de la mode et des félicitations dans le monde. Elle peut être détestable dans un tableau. Cela pour deux raisons : la première est que, dans le monde, on a pu la juger en tant qu’œuvre d’art elle-même ; dans un tableau elle devient un simple accessoire. Ce n’est nullement son charme qui compte, c’est son rôle vis-à-vis de la figure, qu’elle ne doit ni éclipser ni affaiblir. « Que la draperie, dit Léonard de Vinci, soit accommodée et jetée de telle sorte qu’elle ne paraisse pas un habillement sans corps, c’est-à-dire un amas d’étoffe ou des habits dépouillés et sans soutien, comme on le voit faire à plusieurs peintres qui se