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M. Dagnan. Sans doute, rien de plus facile que d’insinuer des critiques. La facture de M. Dagnan n’est ni simple, ni homogène. Elle sent souvent l’effort et abonde en stratagèmes. Large dans les accessoires, elle se resserre et se rapetisse ; dans les figures. Dans tout le portrait, c’est le visage qui a le moins de relief et il doit son relief au modelé serré, précis, au dessin, à la valeur, bien plus qu’à la couleur même. Nombre de touches ou de hachures sont intrinsèquement violentes, heurtées : elles n’acquièrent leur harmonie que si l’on s’éloigne de la toile et si l’on considère l’ensemble. C’est très visible dans les blancs lumineux du portrait de Mme Camille B… par exemple. C’est dans une certaine mesure la loi du « mélange optique » appliquée par un sage observateur.

Mais qu’importent les recettes, quand un effet de cette puissance est obtenu ? Qu’importe la matière, quand tout ce qu’on peut demandera une œuvre : harmonie, solidité, éclat, charme, profondeur, est réalisé ? quand des rapports de tons, comme ceux du rouge des roses et du violet de la robe, et des passages de lumière, comme ceux de ces surfaces blanches, sont obtenus ? Par-là, cette œuvre se place au rang des beaux portraits que nous ont laissés les maîtres. M. Dagnan ne se sert pas de stratagèmes pour esquiver les difficultés : c’est pour les vaincre. Il traite toutes les parties du tableau avec la même consciencieuse attention. Et cette attention n’ôte rien à l’expression principale. Tout est réalisé, rien n’est sacrifié, mais rien n’affaiblit l’unité du motif principal ; tout y concourt. C’est en quoi ce portrait, qu’on peut déjà appeler un chef-d’œuvre, a quelque chose de définitif : il semble qu’il ait été apporté ici d’un Musée.

Des deux tableaux de M. Henner, on pourrait dire la même chose. Que la lumière en soit artificielle, que la facture en soit d’une fluidité que n’a pas la nature, qu’importe, si l’effet est puissant, concordant, homogène ? Devant un portrait comme celui de Mme H. W.., par exemple, devant cette poésie infinie de la couleur, cet éclat profond des yeux, on ne demande pas au peintre d’être d’une autre école ou d’adopter une nouvelle gamme de tons : on admire tout uniment.

Chez tous nos portraitistes, on ne trouve pas cette puissance, mais dans presque tous, on trouve cette recherche du caractère. Autrefois, rien n’eût été plus semblable, au même Salon, la même année, que deux portraits officiels représentant