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équilibre entre ces diverses sollicitations, le portraitiste est tenu à une modération, à une prudence, qui ne laissent se déployer en lui qu’un minimum d’innovation et d’originalité.

Cela s’observe jusque dans les procédés de facture. Tous ne conviennent pas également au portrait. Le modelé sommaire, l’application, au couteau à palette, de larges empâtemens de couleurs, les repeints du fond sur les contours des figures, qui font baver la matière colorée et forment un halo autour des chairs, et ainsi mettent la figure dans l’atmosphère ambiante, ces touches expéditives qui, vues de loin, suggèrent à l’œil des formes, qu’en fait, elles ne réalisent pas, — tous ces procédés qui font merveille dans le grand tableau ne peuvent être introduits qu’avec un dosage minutieux dans le portrait d’une figure unique, calme, vue au jour d’intérieur.

Le sujet et le sentiment général d’une œuvre commandent jusqu’aux plus menus détails de sa matérialisation. Quand passe, en tempête, une charge de cavalerie dans un tableau de trente pieds, nous ne nous attendons pas à ce que l’artiste s’attarde à détailler tous les flocons de laine des chabraques, ou tout le détail des troussequins. Nous ne devons pas les voir. Et plus la facture de ce morceau sera expéditive, emportée, plus elle rappellera cette scène telle que nos yeux l’ont aperçue ou que notre imagination aime à se la figurer. Mais quand, dans un fauteuil, loin des averses de lumière, des poussières en suspens dans l’atmosphère, sans un souffle qui dérange ses cheveux, sans une parole qui entr’ouvre ses lèvres, tenant des roses immobiles comme des pierres précieuses, assise dans des plis arrêtés comme les plombs d’un vitrail, une femme pose pour son portrait, l’accalmie de la facture est dictée par ce calme et le rôle du pinceau défini par cette définition. Ce n’est pas assez qu’un doigt, qu’un bras soient suggérés. Il faut que la matière les réalise.

Dans le portrait exposé par M. Morot, d’une facture exquise, tout aérienne et volatilisée, les bras sont ainsi suggérés dans la perfection, mais à la manière des décorateurs ou des peintres de batailles : tant que vous êtes loin, vous les voyez ; approchez-vous, ils disparaissent. On observe la même chose dans le tableau les Deux Sœurs de M. John Sargent, où les bras, les mains, l’éventail sont des prodiges d’adresse décorative. Mais un portrait est destiné à être vu de près et la même facture qui donne l’éclat et le mouvement à de nombreuses figures agitées et