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Aussi bien l’Autriche est-elle en voie de devenir elle-même une dépendance économique de l’Allemagne. Depuis le krach du marché de Paris, en 1882, les places de Vienne et de Pesth sont exclusivement tributaires du marché de Berlin ; l’argent allemand s’est engagé dans des valeurs autrichiennes ; les tendances protectionnistes du tarif autrichien de 1882 ont provoqué l’immigration d’industries allemandes ; des maisons allemandes se sont établies à Trieste pour bénéficier de la détaxe accordée aux provenances maritimes ; le capital et le travail allemands se sont engagés dans la création de l’industrie hongroise ; l’exportation autrichienne dut recourir de plus en plus aux chemins de fer et aux ports allemands. Si bien que l’Allemagne, devenue peu à peu la régulatrice du régime commercial et de tout le système économique de l’Autriche-Hongrie, se sentit en mesure de tenter l’organisation de la poussée orientale, dans le cadre spécial qu’elle avait réservé aux débuts de sa propre activité.

Afin d’aménager efficacement le Levant, c’est-à-dire la Péninsule balkanique et toute l’Asie antérieure jusqu’au golfe Persique, il importait d’abord au germanisme de commander les chemins divers qui rattachaient cette immense région à l’Europe centrale, à savoir : la voie maritime, le Danube et le faisceau de routes terrestres, le Uberlandweg, employé dès le moyen âge par le trafic allemand.

La mer a l’avantage d’être immédiatement utilisable, de rester ouverte à tous et d’assurer des frets peu élevés aux marchandises lourdes ; à ce triple point de vue, elle présentait pour l’Allemagne un réel intérêt commercial. Le port de Trieste, reconnu trop éloigné et d’accès difficile, fut en partie délaissé, comme entrepôt vers l’Orient, au profit de Brème et de Hambourg ; la Deutsche Levante Linie fut créée, il y a une douzaine d’années, pour relier les ports de la mer du Nord à la Méditerranée et à la Mer-Noire. Mais la voie de mer, gardant forcément un caractère international, n’apportait point de facilités suffisantes à l’œuvre pangermanique, qui tendait surtout à établir dans le Levant, par l’ouverture de marchés nouveaux, des foyers de culture allemande ; à cet effet, le Danube et les chemins de fer, susceptibles d’une appropriation progressive, constituaient les routes propices de la poussée orientale.

Le Danube, avec ses affluens, offre bien un magnifique développement de 8 645 kilomètres de voies navigables ; mais les