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Ces œuvres, et les paysages de M. Cabié au Salon de l’avenue Nicolas II et aussi des « morceaux » comme le portrait de M. Benjamin Constant, par Mlle Delasalle, suffiraient à montrer que les théories modernistes n’ont pu prévaloir contre le goût inné des artistes aux Salons de 1902.

Ces théories, d’ailleurs, nous font un peu l’effet de vieilles devises de blason, tellement mal elles s’appliquent aux préoccupations présentes et aux immédiates réalités. Les deux Salons sont également classiques et également jeunes. Ils se rejoignent de plus en plus. Les visiteurs venus au Salon de l’avenue d’Antin pour fuir la froideur et la pompe des commandes officielles, se heurtent à un dîner de vingt mille maires et à toutes les Académies rendant hommage à Pasteur, et ceux qui ont cru trouver, au Salon de l’avenue Nicolas II, une assurance contre tout souvenir de Manet se trouvent en présence de la Belle Fille, de M. Caro-Delvaille. A la scission qui persiste entre les deux sociétés, il est impossible d’apercevoir une autre raison ou une autre conséquence qu’une organisation supérieure dans un des Salons et un plus grand nombre de bonnes toiles et de bonnes statues dans l’autre. Les artistes de l’avenue Nicolas II peignent mieux les tableaux qu’ils montrent et les artistes de l’avenue d’Antin montrent mieux les tableaux qu’ils peignent. C’est toute la différence. Des deux côtés, décroissent également les deux formes de l’art nouveau : le symbolisme et le pointillisme. Ils ont quasi disparu et la pénombre chaude, dorée, que le plein air devait proscrire est redevenue l’atmosphère où respirent le plus volontiers les jeunes gens.

Ceci est déjà vieux de quelques Salons ; mais ce qui s’affirme cette année, pour la première fois, avec une telle universalité, c’est le goût des scènes d’intérieur. A chaque pas, on trouve des toiles ainsi qualifiées : La Console, le Coin du feu, le Buste, la Commode de laque, la Psyché. Jamais on n’a vu tant de jeunes artistes se dévouer à polir des cuivres, à frotter des parquets, à capitonner des meubles, à allumer des lampes discrètes ou des feux prudens, dans des recoins sombres, clos, quiets. Ce n’est pas seulement, chez les Artistes français, M. Bail ou M. Lucas, ou M. Thomas qui s’y appliquent. Considérez, dans la jeune Société nationale, les tableaux très curieux de MM. Hugues de Beaumont, Delachaux, Garrido, Griveau, Humphreys Johnston, Larrue, Morisset, Pelacier, Prinet, Saglio, Sickert, Smits,