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— tout cela, les peintres, hors de France, le voient, l’attrapent, le fixent aussi puissamment que les nôtres.

Mais, s’il s’agit de choisir une attitude simple, un geste souple, de surprendre une expression indécise, une carnation nuancée dans un modelé sous-entendu, de disposer un lé d’étoffe, de faire vivre chaque plis, chaque nœud, chaque ruban, de flatter sans flagornerie, de poétiser sans affadir, alors c’est à Paris qu’il faut que s’en vienne le modèle. Et il y vient en effet. Le portrait français est le miroir où aiment à se mirer les femmes du monde entier.

C’est à lui aussi que viennent s’appliquer tous nos peintres, quel que soit le genre où ils aient d’abord triomphé. M. Dagnun n’a commencé par surprendre des Noces chez le Photographe et M. Benjamin Constant à massacrer des Turcs, ou M. Klaineng à délivrer les prisonniers de la Bastille, que pour peindre, un jour, leurs contemporaines, jouant avec leurs bijoux ou tenant des roses. M. Aimé Morot n’a conduit tant de charges de cavalerie, et M. Raffaelli n’a épié tant de chiffonniers que pour tracer un jour, d’un trait plus sûr, des images plus calmes et plus douces et plus pures. Poètes épiques, historiens, dramaturges, pour fous vient un moment où ils laissent là leurs rêves pour de patientes biographies d’art. Les peintres finissent dans le portrait comme les poètes dans le journalisme.

Et l’on peut s’en désoler, mais on peut aussi s’en réjouir. Que de liberté, que d’ampleur, donne cette éducation antérieure et cette science de la composition ! Quelle supériorité sur les peintres de « morceau ! » Tant qu’il ne s’agit que du classique trois quarts, un côté s’enlevant en clair, l’autre en sombre sur le fond dégradé — le « professionnel » du portrait demeure égal ou supérieur à ses confrères. Mais s’agit-il de tracer un bout de forêt derrière une spirituelle coiffure, d’ordonner une attitude gracieuse où tous les plis jouent et dansent, M. Humbert retrouve les feuillages de sa Fin de la Journée, et M. Flameng n’a pu peindre les élégantes aux grandes cannes de Machecoul, sans apprendre pour toujours comment on dispose les lignes souples, les attitudes, — insolentes ou gracieuses, — qui font honneur au corps humain.

Cette supériorité n’est pas d’hier. C’est par là que l’Art français a commencé, avec Clouet ; c’est par là qu’il se survit. Dans ses plus mauvais jours, il a été sauvé par ses portraits. Quand le