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de montagnes qui encercle la baie. Au sortir du défilé, nous retrouvons le pays de collines et de vallons, de plainettes, d’olivettes, de champs, de vignes et de cyprès qui couvre le centre de l’île jusqu’à la mer du détroit. À notre gauche, la muraille du Pantokrator dresse sa paroi sauvage, sans une coupure. À notre droite, les pentes boisées de la sierra côtière font place soudain à la longue plaine de Ropa, qui fuit vers le Sud entre deux lignes de coteaux. Cerclé de pentes douces que les olivettes chargent de leurs masses ondulantes, cet ancien lac vidé étire à perte de vue sa nappe encore miroitante de marais et d’herbages. Là-bas, vers le Sud, par une brèche de la sierra côtière, un petit fleuve décharge le trop-plein des marécages dans la baie sablonneuse d’Ermonais. Voilà « les champs cultivés et les travaux des hommes, » que les mules de Nausikaa traversent en courant.

Le fleuve est là-bas. Dix kilomètres de roule plate, à travers la plaine de Ropa, nous y mèneraient vite. Mais il se fait tard. Le soleil couchant allonge sur la campagne les grandes ombres du Pantokrator. La tranquillité de ce doux pays se fait plus grave. L’obscurité tombe lentement des vieux oliviers. Tout bruit se calme autour des cyprès. Une buée monte de la plaine et dessine au loin la fuite des marais. Il faut rentrer vers la ville. Nous irons demain à la baie d’Ermonais et au fleuve de Nausikaa.


III

Sur la côte occidentale de Corfou, dans la Mer Sauvage, la baie d’Ermonais occupe la place symétrique aux deux baies de la capitale actuelle sur la côte du détroit. Quinze ou seize kilomètres mènent d’une mer à l’autre, de la capitale à la baie déserte. Cette route n’est aussi qu’une allée de parc. À travers les hauts cyprès et les vieilles olivettes, au bord des haies fleuries de roses, sous les coteaux chargés de vignes, autour des plainettes inondées et des petits lacs, elle va sans heurt, en courbes sinueuses, respectant les vieux arbres et évitant les roches. Une succession de collines et de vallons détrempés couvrent le pays. Sur les buttes, les blancs villages se penchent dans leur ceinture de cyprès. Au fond des vallons, les marais de l’hiver ou les lacs constans miroitent. La politique vénitienne laissa, par système, les marécages envahir les champs : l’île ne devait produire que de l’huile pour la République, qui la payait en grains.


Avril-mai 1901[1]. —… Nous arrivons au sommet des dernières collines qui bordent au Sud la plaine de Ropa. La cuvette s’ouvre devant nous. Long de neuf kilomètres, large de deux ou trois, cet ancien lac vidé est aujourd’hui la plus grande plaine de l’île. Cette plaine s’étend vers le Nord, sans

  1. Notes de voyage.