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LES ORIGINES DE L’ODYSSÉE.

santé de la reine et de la famille royale ; puis il prend congé de ses hôtes. Il les a priés sans doute de ne pas se déranger, pour le reconduire jusqu’au bateau : la nuit est noire et le sentier de la falaise est fatigant, surtout à remonter. Ulysse d’ailleurs connaît, le chemin. Alkinoos et les rois ne l’accompagnent donc pas. On lui donne seulement un laquais qui marchera devant et guidera ses pas à la descente, jusqu’au croiseur et jusqu’au bord de l’eau.

Il semble donc que le palais d’Alkinoos occupait, au sommet de la montagne insulaire, cette plate-forme où nous sommes assis et où se dressent encore les ruines de la chapelle Saint-Georges. Ulysse a frôlé ces roches de l’esplanade sur lesquelles nous relisons ces récits du poète. C’est ici qu’aboutissent les deux routes ou sentiers qui, devant et derrière nous, montent de l’isthme et de la pleine mer. Venu de la mer, le sentier de la falaise est actuellement un casse-cou assez dangereux. On peut encore le suivre jusqu’au bord de l’eau. Mais il faut avoir le pied et la tête solides : la pente est un éboulis de cailloux roulans, et le miroir des eaux donne un peu le vertige. Au temps d’Alkinoos, ce sentier était mieux entretenu : les Phéaciens avaient sans doute ici un escalier, une échelle de roches, toute semblable à l’escalier des gens d’Aphiona pour descendre vers leur Port-Timone. Venue de l’isthme, l’autre route est plus aisée : nos cartes marines l’indiquent encore. Elle gravit en lacets la façade terrienne de notre mont. On imagine sans effort qu’avec un petit travail de remblais et de terrassemens, elle peut demain redevenir une large rue : c’est par là que, du palais vers l’agora et réciproquement, est descendu et remonté le char de Nausikaa. Aux deux bords de cette rue, la ville des Phéaciens étageait sur la pente ses cases et ses ruelles. Les murs des petites terrasses et les cultures couvrent cette pente aujourd’hui : il est impossible de juger si quelque endroit de fouille y pourrait être fructueux.

De terrasse en terrasse, nous redescendons la pente vers l’isthme. Des ruines de la chapelle Saint-Georges, nous allons d’abord aux ruines de la chapelle Saint-Nicolas, qui sont à mi-côte. Puis nous atteignons les premières olivettes de l’isthme, tout en bas. L’isthme traversé et la plage de San-Spiridione nous conduisent au pied du mont de Palaio-Castrizza, qui surgit brusquement des sables et qui n’est qu’un bloc de calcaire : partout la roche affleure, et pourtant ce rocher de Palaio-Castrizza est un merveilleux jardin. Quelques puits creusés par les moines, quelques terrasses pour soutenir un peu de terre, des rigoles pour amener l’eau d’irrigation et recueillir les pluies marines : et tout aussitôt la roche se couvre de verdures luxuriantes. Protégé des vents du Nord par la haute margelle de ses montagnes ; ouvert aux vents d’Ouest que la traversée de la grande mer charge d’humidité ; rafraîchi par les brumes que les vents du Sud-Est amènent souvent avec eux ; ce coin de Rimera corfiote est un bouquet d’arbres. Les moines, outre leurs olivettes fleuronnées de cyprès, ont à l’entrée du couvent un jardin merveilleux d’amandiers, de poiriers, de vignes, de cerisiers, de pommiers, de pruniers et de néfliers du Japon ; dans la verdure des branches pliant sous le faix, brillent les oranges d’or : l’enclos est fait de murs et de roches à pic que les raquettes des cactus et la retomber des vieux figuiers ensevelissent. Alkinoos, dans son palais, avait un verger tout pareil.