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REVUE DES DEUX MONDES.

130 à 200 mètres de large, entre le pied des deux montagnes insulaire et continentale. Du côté de Port Alipa, la plainette est ombragée d’olivettes qui viennent jusqu’aux sables. Du côté de San Spiridione, les sables et les champs de blé lui font une large esplanade découverte. Voilà bien l’agora autour du beau Poseidion, la place où les équipages, assis et accroupis sur les dalles, réparaient, qui sa voile ou son mât, qui ses rames ou ses filets. C’est le spectacle qu’offrent encore les quais dallés de nos petits ports méditerranéens.

Allez un soir d’été sur la marine d’Amalfi. Au pied des monts, sur la plage circulaire de sables et de cailloux, à l’écart du flot qui brise, les bateaux sont tirés. Devant la ligne des maisons de la basse ville, une esplanade dallée s’avance, qui sépare la plage en deux anses. Sur ces dalles, les femmes accroupies tricotent leurs bus ou épouillent leurs enfans, et les bommes raccommodent leurs voiles, réparent leurs filets, tressent un cordage ou reclouent les tronçons d’une rame brisée. Pour les menus travaux que le matelot fait ainsi, il faut une esplanade dallée où l’on puisse s’asseoir : non dallée, la terre meuble deviendrait de la boue sous les pieds et sous les cordages chargés d’eau de mer.

Sur notre isthme, les dalles, comme on le pouvait prévoir, ont disparu et le temple de Poséidon, le beau Poseidion des Phéaciens, ne semble pas avoir laissé de ruines. Il en reste pourtant un souvenir. Comme tant d’autres Poseidia antiques, il fut remplacé sans doute par une chapelle de Saint-Nicolas. Mais le grand saint, malgré sa puissance, ne put tenir longtemps sur cette plage infestée de pirates mécréans. Les Turcs ou les Barbaresques le chassèrent. Il s’enfuit à mi-côte de la montagne semi-insulaire, où la carte marine indique les ruines de sa chapelle (Ruines sur la carte). Il resta là durant de longs siècles. Les marins chrétiens montaient jusque chez lui et l’entretenaient d’icônes et de cierges. Aujourd’hui la sécurité des mers lui a permis de redescendre. Les moines, ses voisins, qui prenaient soin de son autel et qui touchaient ses revenus, l’ont ramené en un site plus commode. Au pied de leur couvent, sous la roche de Palaio-Castrizza, sur le bord même de leur mouillage de San Spiridione, ils lui ont construit une chapelle neuve où ils ont apporté ses vieilles icônes. C’est là qu’il faut chercher le Poseidion des marines actuelles. La chapelle du mont est en ruines. Le Poseidion de l’isthme est sans doute enfoui.

Nous montons à la ville d’Alkinoos. La montagne semi-insulaire dévale du côté de l’isthme en une pente assez raide, mais non pas abrupte. Le champ d’oliviers s’étage en talus jusqu’à mi-côte ; puis des terrasses superposées soutiennent de maigres jardinets de céréales qui, de marche en marche, vont jusqu’au sommet. Tout en haut, une esplanade de roche nue porte les ruines d’une chapelle (Église sur la carte marine) de Saint-Georges. On va de la mer à l’esplanade du sommet, par un sentier en échelle qui permet l’escalade sans trop de peine et passe aux ruines de Saint-Nicolas. Tel quel, ce flanc de montagne se prête à l’érection d’une de ces villes hautes que les corsaires ou navigateurs francs connurent jusqu’à nos jours dans les mers levantines. En bas, la plage et les vaisseaux bordaient l’agora, où les étrangers étalaient leurs marchandises, et les sanctuaires où les indigènes adoraient les dieux marins. Sur la pente, le troupeau serré