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entre l’Occident et l’Orient ; ce fut le grand chemin des Croisades. L’invasion turque barra le fleuve ; les produits allemands, auxquels Augsbourg servit d’entrepôt, durent alors emprunter la voie maritime, par l’intermédiaire de Venise et de Gênes ; Raguse et les sièges saxons de la Transylvanie exploitaient la route de terre à travers la péninsule balkanique ; un courant commercial s’établissait également vers la Mer-Noire par la Pologne et la vallée du Dniester. Dès la fin du XVIIe siècle, quand les Turcs commencèrent à reculer devant les armes impériales, le Danube tendit à reprendre son importance antérieure pour l’influence et le commerce allemands ; par les marchés de Breslau et de Vienne, surtout par la grande foire de Leipzig, l’Europe centrale se remit à dominer le Levant ; en 1782, un premier bateau partit de Vienne vers la Mer-Noire ; en 1830, la K. u. K priv. Donau Dampfschiffsfahrt Gesellschaft prenait possession du fleuve, et des escales de la rive droite, Belgrade, Widdin et Routschouk se détachaient vers le Balkan des pistes parallèles de pénétration. Au milieu du XIXe siècle, les progrès de la navigation à vapeur favorisèrent à nouveau la voie maritime, qui l’emporte une fois encore sur les routes terrestres et fluviale ; le port de Trieste et la mer Adriatique devinrent alors les débouchés du commerce allemand avec l’Orient.

Du reste, l’expansion orientale du germanisme n’était pas, à cette époque, favorisée par la politique générale : le traité de Paris avait organisé le Levant dans l’intérêt exclusif des puissances maritimes, si bien que leur commerce y était devenu prépondérant[1] ; les premiers chemins de fer, construits sur le territoire ottoman, tendaient uniquement à faciliter vers l’intérieur l’écoulement des produits débarqués dans les ports ; ils réunissaient la Mer-Noire au Danube, avec prolongement au delà du fleuve, et lançaient, de Constantinople et de Salonique, deux tronçons principaux, qui s’enfonçaient profondément à travers la Péninsule[2].

Le traité de Berlin renversa la situation. Il prépara l’aménagement de l’Orient au bénéfice du germanisme, en prévoyant

  1. Dans la période de 1863-72, importation moyenne en Turquie, 495 millions ; Angleterre, 240 ; France, 73.
  2. Varna-Routschouk, 225 kilomètres. — Kustendjé (Constantza)-Cernavoda, 64 kilomètres. — Constantinople-Bellova, 552 kilomètres. — Salonique-Mitrowitza, 278 kilomètres.