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LES ORIGINES DE L’ODYSSÉE.

sœur de la princesse Corcyre. Son roi s’en fut en guerre dans un lointain pays. Il se laissa charnier par une méchante reine qu’il épousa. Il la ramenait à son bord. Pamphlagona, la reine légitime, connut la trahison et guetta leur retour. Quand leur vaisseau apparut à l’horizon, elle invoqua la justice de saint Nicolas, qui pétrifia la nef. »

Mais si notre Bateau est le croiseur homérique, nous allons comprendre peut-être le vieux nom de notre grande île, Korkyre ou Kerkyre. Si, pour les marins grecs, Corfou était l’Ile de la Serpe, Drépanè, je crois que, pour les marines antérieures, pour les navigateurs de Tyr et de Sidon, elle avait été l’île du Croiseur, l’île du Bateau, Kerkyra. Garnie kerkoure ou kerkyre est une sorte de vaisseau levantin, dont Pline rapporte l’invention aux Chypriotes, et les scoliastes ajoutent que c’est un vaisseau de course, un vaisseau léger et non un lourd vaisseau de charge. Le kerkoure figure dans les flottes de Carthage. Les Arabes ont encore des kurkura, « vaisseau long et grand. » Ce mot kerkoure ne veut rien dire en grec ni en latin ; mais il a une claire étymologie sémitique. Les Hébreux appelaient kerkera leurs chamelles de course, leurs coureuses : dromas, dirent ensuite les Hellènes, d’où nous avons fait, dromadaire. Kerkera-dromas, la Coureuse, forment un doublet gréco-sémitique. Cette épithète coureuse devint un nom commun, que les Sémites terriens appliquaient à leurs bêtes de course : les gens de Tyr ou de Sidon l’appliquèrent, je crois, à leurs croiseurs « qui sont les chevaux de la mer. » Les Phéniciens eurent dans leurs flottes des kerkoures, comme les Hellènes eurent des coureurs, des dromons : kerkyra-dromon serait un autre doublet fort exact. Le bas latin cursorius, dont nous avons fait coursaire ou corsaire, nous en donnerait une juste traduction : comme les Grecs anciens avaient emprunté kerkoure aux Sémites, les Grecs modernes ont emprunté korsarikon aux Latins, jusqu’au jour où les puristes d’Athènes ont voulu chasser de la langue les mots intrus et revenir aux expressions classiques : ils ont traduit en katadromikon le mot semi-étranger korsarikon. L’Odyssée a traduit de même le mot étranger kerkoure et la meilleure traduction de ce mot nous est encore fournie par elle : c’est νηῦς θοὴ (nêus thoê), un vaisseau-rapide, une galère subtile, un croiseur. C’est une νηῦς θοὴ (nêus thoê), un croiseur, que Poséidon change en pierre sur les côtes de Kerkyra. Ce n’est pas un de ces lourds vaisseaux de charge, une de ces larges phortides, que