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LES ORIGINES DE L’ODYSSÉE.

la Statue, ayant moins de deux encablures de diamètre et haut de 90 mètres. On y voit les restes d’une statue colossale qui, de loin, paraît avoir la position d’un tailleur, les jambes croisées. De là son nom, qui a été donné également à l’îlot et à la baie, à l’entrée de laquelle il se trouve. » On pourrait citer vingt exemples pareils. Déjà nous avons vu le Rocher de Kalypso, l’îlot de la Cachette, donner son nom à tout le continent d’Ispania. Sans même sortir de Corfou, c’est tout pareillement que les deux « sommets » du mouillage vénitien, Koryphous, Korphous, fourniront à la ville moderne ce nom de Corfou, que l’île tout entière porte aujourd’hui. Par les situations réciproques de la roche et de l’île, on peut deviner que ce nom de Serpe, Drépanè, fut donné à Corfou par les navigateurs du détroit, qui, venus des îles Ioniennes ou du continent albanais, rencontraient d’abord la roche de la Serpe, puis la côte et le mouillage insulaires, vers lesquels cette roche caractéristique leur servait de guide et d’ « amer, » comme disent nos marins.

Or, l’on pourrait imaginer un nom de même sorte, mais un peu différent, donné à cette même île de Corfou par des navigateurs qui l’aborderaient sur l’autre façade Car la côte nord-occidentale de l’île, en face des mers italiennes et du grand détroit vers l’Adriatique, offre aussi un rocher caractéristique dont le profil très net a toujours frappé les navigateurs : c’est, surgissant de l’eau, un navire qui marche, avec sa mature dressée, sa voilure déployée et son canot attaché à l’arrière. Découpé comme à l’emporte-pièce, ce rocher sans épaisseur a sur les deux côtés le même profil. De la terre ou de la haute mer, ce « Bateau » se distingue toujours dans le fouillis des autres roches : les Grecs modernes l’appellent Karavi, le « Bateau. »

Par sa situation à l’extrême Nord-Ouest de Corfou, ce repère du Bateau est utile surtout aux marins étrangers qui viennent des mers occidentales. Sur nos cartes marines, rétablissez le cabotage des vieux thalassocrates entre les mers helléniques du Levant et les mers barbares du Couchant. Pour rentrer des mers barbares dans les eaux helléniques, leurs flottes, parties de la dernière pointe italienne, du cap S. Maria di Leuca, avaient à traverser les quatre-vingts ou quatre-vingt-dix kilomètres, « le grand abîme de mer, » de notre canal d’Otrante. Sur l’autre bord de ce détroit, ils venaient reconnaître au-devant de la grande île notre rocher du Karavi : « En face du Cap Chauve de