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durcir, qui ne formait pas de dépôt vaseux, dont l’ébullition n’incrustait pas les parois des récipiens où elle chauffait, et qui était sans odeur ni saveur. D’après Vitruve, avant de dériver une source, on devait se rendre compte de l’état de la population qui en faisait usage. Si les habitans étaient vigoureux, s’ils avaient le teint bien coloré, s’ils n’avaient pas les membres frêles ni les yeux atteints de lippitude, l’eau était considérée comme excellente. Pline le Naturaliste considérait que l’eau de la source Marcia, la meilleure du monde ancien par sa fraîcheur et sa limpidité, avait été donnée à Rome, parmi tant d’autres avantages, par la bienveillance spéciale des dieux.

Belgrand eût été, par les anciens, révéré comme un des génies tutélaires de Paris.

Ses recherches géologiques montrèrent que la capitale, étant entourée d’une lentille de gypse qui gâte l’eau des sources entre Château-Thierry et Meulan, devait recourir à d’autres sources séparées d’elle par des distances considérables, ce qui entraînerait de grandes dépenses de dérivation.

Mais cet ingénieur, que les Conseils municipaux d’après 1871 considéraient comme suspect de sentimens réactionnaires, bien qu’il eût, comme polytechnicien, pris part aux « journées » de 1830, déclarait au baron Haussmann « qu’il n’est pas plus permis de marchander l’eau saine et agréable à l’ouvrier que l’air pur et le bon pain. »

Au moment où Belgrand présentait ses études, le volume des eaux distribuées par vingt-quatre heures à Paris ne dépassait pas, aux jours les plus chargés de l’été, 7 500 mètres cubes. Tirées surtout de la Seine et du canal de l’Ourcq et, pour une petite quantité, de l’aqueduc d’Arcueil, du puits artésien de Grenelle et des sources de Belleville et du Pré-Saint-Gervais, dites du Nord, ces eaux étaient insalubres, désagréables au goût, glaciales en hiver et tièdes en été.

L’eau d’Arcueil, alors, relevée par une petite pompe à vapeur, et l’eau artésienne de Grenelle se mélangeaient à l’eau de Seine dans le réservoir du Panthéon. Les sources du Nord se déversaient dans le réservoir de l’abattoir de Ménilmontant dont l’alimentation, était complétée par le canal de l’Ourcq, où 2 000 mariniers versaient leurs déjections. Beaucoup de maisons du vieux Paris se servaient encore d’anciens puits, alimentés par des nappes fort suspectes. Presque tous les étrangers, en