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de trois grandes puissances militaires ; elle est donc partout saisissable, et l’alliance franco-russe, devenue la régulatrice de la paix continentale, suffit à solidement endiguer le pangermanisme. Dans le champ d’opération fort appréciable que lui laisse la double alliance, il est destiné à se heurter encore aux difficultés que lui vaut son allure absolue et exclusive, c’est-à-dire aux États qui ont leur staatsidee à défendre, aux nationalités qui préfèrent conserver leur culture propre, aux domaines économiques qui tiennent à protéger leurs intérêts, enfin aux croyances diverses, rebelles à la suprématie de la confession évangélique.

L’impérialisme et le pangermanisme sont logés à des enseignes si diverses que les deux États intéressés ne pouvaient adopter la même attitude à l’égard d’une doctrine, dont l’application dût paraître également séduisante à Londres et à Berlin. Conscient de la force impériale de l’Angleterre et des avantages de son insaisissabilité, le gouvernement britannique a fini par se rallier franchement à l’impérialisme, dont il a fait la règle unique de sa politique étrangère. Moins sûr de lui-même et sentant l’empire attaquable par toutes ses frontières, le gouvernement allemand s’est empressé de répudier, du moins officiellement, une théorie qui, si elle fût devenue le fondement de sa diplomatie, eût ameuté contre lui une formidable coalition. Aussi bien le mouvement pangermaniste n’a-t-il pas mis son espoir immédiat dans le concours de l’Empereur ni de son gouvernement, mais seulement dans la force future de l’opinion publique, l’Alldeutsche Verband est même né, en 1891, d’un accès de défiance contre Guillaume II, quand, après l’éviction du prince de Bismarck, et le traité anglo-allemand, relatif à l’Afrique orientale, qui fut le premier chef-d’œuvre du « nouveau cours, » on eut mieux compris en quelles mains incertaines était désormais tombée la politique allemande. Néanmoins, l’idée pangermanique a déjà fait un chemin considérable dans les esprits et partout elle a marqué sa trace. Si les générations anciennes, qui ont connu les divisions de l’Allemagne et ne se sont faites que péniblement à l’hégémonie prussienne, gardent encore une prudente réserve, la jeunesse, élevée sous l’impression du triomphe national, et dans la croyance à l’expansion illimitée de la race, s’y montre de plus en plus acquise. On remarque maintenant dans la presse allemande des traces constantes de l’idée pangermanique et la manifestation involontaire en ressort à chaque instant de la conversation