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compagnie, qui se promenoit les mains derrière son dos. Il fut à eux et leur demanda ce qui les amenoit ; ils lui dirent que le Roi les envoyoit vers lui. Sans les tirer seulement vers une fenêtre et sans bouger de la même place, il se fit expliquer à voix basse de quoi il s’agissoit. La réponse du héros fut courte : il leur dit tout haut qu’il seroit sur la frontière presque aussitôt que Bergeyck à Mons ; que, sur les lieux, il travailleroit avec plus de justesse ; et, avec une demi-révérence et une pirouette, il alla rejoindre sa compagnie, qui s’étoit éloignée par discrétion. » Lorsque le fait lui fut conté, Louis XIV « ne put se contenir de laisser échapper un geste qui fit connaître ce qu’il pensoit, mais ce fut tout[1]. »

Cependant le Duc de Bourgogne continuait à s’occuper consciencieusement des préparatifs de son départ. Il allait inspecter ses équipages, qu’une mesure d’économie avait fait réduire d’un tiers par rapport à ceux de sa campagne précédente. Le 5 mai, le Roi avait désigné pour servir auprès de lui six aides de camp dont le marquis de Brancas, le marquis de Clermont, le chevalier de l’Aigle, tous bons officiers. Le dimanche 13, veille du jour de son départ, il permit à toutes les dames d’« aller prendre congé de lui dans son appartement » et, ajoute Dangeau, « il les baisa toutes en leur disant adieu. » Le 14 au matin, il assista à la messe, qui se trouva être une messe de Requiem dite pour l’anniversaire de la mort de Louis XIII. La cérémonie fut triste, et l’on s’étonna entre courtisans que le Roi, assez superstitieux, eût choisi ce jour-là pour le départ de son petit-fils. Tous deux, après le Conseil, demeurèrent quelque temps enfermés ensemble ; puis le Duc de Bourgogne passa chez sa femme. « La séparation fut fort tendre de part et d’autre, » dit brièvement Dangeau[2]. Le rédacteur du Mercure est plus prolixe : « Je ne diray rien des adieux de ce prince à Madame la Duchesse de Bourgogne. Ce sont des mystères qui sont réservés à l’amour ; mais je diray seulement que la manière dont cette princesse parut touchée après le départ de son auguste époux fit connoître à toute la Cour la douleur dont elle étoit pénétrée et la tendresse qu’elle

  1. Bellerive, dans son récit, représente autrement les choses. Mais Sourches, qui ne poursuit pas Vendôme de la même haine que Saint-Simon, rapporte ce propos de Vendôme à Bergeyck : « Monsieur, je suis venu ici pour me reposer et non pour parler d’affaires ; nous verrons quand nous serons sur les lieux. » Il n’y a donc pas lieu de révoquer en doute l’anecdote où Vendôme se peint au naturel.
  2. Dangeau, tome XII, p. 137.