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citant Saint-Simon, les dégoûtans détails, « car au lit il ne se contraignoit de rien. » Et non seulement Vendôme se complaisait dans cette malpropreté, mais il s’en vantait, soutenant, comme il fit un jour à la princesse de Conti, « la personne la plus propre du monde et la plus recherchée dans sa propreté, que tout le monde en usoit de même, mais n’avoit pas la bonne foi d’en convenir comme lui. » Les audiences qu’il donnait sur sa chaise percée et les spectacles successifs qu’il y donnait cyniquement sont demeurés célèbres. Sa personne n’était pas moins malpropre que ses habitudes, et ses vêtemens toujours souillés de tabac. Louis XIV, qui en détestait l’odeur, au point d’en interdire l’usage à Monseigneur lui-même, n’y trouvait cependant rien à dire, et supportait de Vendôme ce qu’il ne supportait pas de son fils.

Il est juste de reconnaître que Vendôme rachetait ses vices et ses défauts par des qualités brillantes. Il avait, Saint-Simon lui-même en convient, « un visage fort noble et l’air haut, de la grâce naturelle dans le maintien et dans la parole, beaucoup d’esprit naturel qu’il n’avoit jamais cultivé, une énonciation facile, soutenue d’une hardiesse naturelle,… beaucoup de connaissance du monde et de la Cour[1]. » Mais il n’avait pas seulement hérité cette grâce naturelle à la fois d’Henri IV et de la belle Gabrielle, et il ne se bornait pas à se montrer, quand il le voulait, un homme de cour accompli. Il était aussi homme de guerre, et il avait des parties de génie. Là encore ses défauts de nature nuisaient à ses qualités militaires. Paresseux, rien n’était difficile comme de lui faire abandonner un cantonnement où il avait trouvé ses aises et décamper dès le matin. La fraîcheur de M. de Vendôme était une expression qui avait cours à l’armée pour dire qu’il ne faisait jamais marcher ses troupes que l’après-midi et jusqu’à la tombée de la nuit. Imprévoyant, il ne prenait pas soin de se garder, et se laissait volontiers surprendre. Mais, une fois l’action engagée, par la justesse de son coup d’œil, par la promptitude de ses décisions, par l’ardeur et l’à-propos avec lesquels il se jetait au milieu de la mêlée, il savait rétablir les affaires et changer en victoire une défaite menaçante. Personnellement il avait les plus brillans états de services, et il avait passé par tous les gracies jusqu’à celui de lieutenant général. À Steinkerque, il avait contribué par trois charges sanglantes à

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XIII, p. 280.