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par exemple, donnait un tir juste et meurtrier jusqu’à 800 ou 1 000 mètres. Des études se poursuivaient pour obtenir un fusil ayant les qualités balistiques des nôtres et celles de rapidité du fusil prussien ; elles n’étaient point terminées. Quoi qu’il en soit, malgré ses imperfections et ses lacunes, notre armée était un instrument redoutable de guerre et nul n’en était plus persuadé et ne le disait mieux à son gouvernement que l’attaché militaire prussien, le colonel de Loe, qui l’étudiait d’un œil perspicace.

L’Empereur ne s’abstint donc ni par impuissance, ni par indécision d’esprit ou torpeur de volonté, mais de propos délibéré, parce que le moindre déploiement militaire de sa part eût rapproché les adversaires et prévenu la guerre, qu’il souhaitait.

Il n’a été indécis que sur la nature et l’étendue des arrangemens matériels ou moraux compensatoires, la seule partie de son plan qui dépendit complètement de circonstances impossibles à prévoir et à calculer.

Dans ces compensations il ne comprenait pas l’agrandissement de notre frontière. Kératry, attaché à la personne du maréchal Bazaine au Mexique, avait été envoyé par son chef à Paris afin de demander son rappel en France pour être à portée de servir plus efficacement sur le Rhin. L’Empereur avait répondu[1] : « Dites au général qu’il a toute ma confiance, que ses services me sont indispensables là-bas ; ajoutez bien que, malgré toutes les excitations intéressées, je ne me battrai point sur le Rhin. »


XII

Comment. Bismarck aurait-il pu pénétrer de tels desseins ? On ne devine que ce qu’on est capable de concevoir. Pouvait-il entrer dans l’esprit d’un ministre de proie, décidé à ne rien faire gratis et à prendre toujours et partout, qu’un souverain français, le successeur du vainqueur d’Iéna et du vaincu de Waterloo, occupant en Europe la première place, seconderait l’agrandissement d’une nation militaire rivale, de taille au moins à contre-balancer sa propre puissance, peut-être à la surpasser, et cela sans convoiter pour lui aucune compensation matérielle qui maintînt la parité des forces, uniquement pour avoir la

  1. Figaro du 24 janvier 1894.