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étouffé mes aspirations vers une politique franco-germanique. » Et comme Persigny s’étonnait de ces paroles, et qu’il lui demandait si, en effet, il n’y avait pas eu à Biarritz des engagemens contractés de part et d’autre, ainsi que toute l’Europe l’avait cru, il l’assura qu’il n’y en avait eu d’aucune espèce ; que, bien loin de là, il avait vainement essayé de deviner la pensée de l’Empereur et de pénétrer dans son for intérieur, pour y chercher les élémens d’une entente entre les deux gouvernemens ; il en avait toujours été éconduit par le ton d’une conversation vague ou indécise dont il lui avait été impossible de percer le mystère. La seule allusion faite par l’Empereur à des combinaisons politiques avait été relative aux frontières du Rhin, mais pour ajouter aussitôt que celles-ci, désirées par la France, étaient si énergiquement refusées par l’Allemagne et seraient d’ailleurs si difficiles à gouverner par des Français, qu’il était impossible d’y songer sérieusement. Il avait affecté un désintéressement complet[1]. »

Il est donc constant qu’à Biarritz, non seulement rien n’a été conclu sur les éventualités imminentes, mais qu’on s’en est à peine entretenu. Qu’au premier moment d’une conversation sur un sujet d’une telle importance, on éprouve quelque embarras à en venir au vif des difficultés, c’est naturel ; mais on ne comprendrait pas qu’un esprit aussi résolu et en même temps aussi souple que Bismarck, avec les facilités d’un séjour à la campagne, n’eût pas réussi à amener des explications catégoriques, si la nature des circonstances n’expliquait cette surprenante impossibilité ; et cette impossibilité elle-même caractérise la situation des personnages et des peuples en présence.

À Plombières, on causa et on s’entendit, parce que chacun des interlocuteurs avait quelque chose de précis à demander et quelque chose de non moins précis à offrir. À Biarritz, on ne put pas même causer, parce que, si l’un des interlocuteurs avait à demander, il n’avait rien à offrir. Bismarck ne sollicitait pas, comme Cavour, l’appui matériel de la France : sauf en des circonstances extrêmes, il l’eût plutôt décliné, dans la crainte de blesser le patriotisme allemand par un appel à l’ennemi héréditaire ; il recherchait uniquement la certitude de sa neutralité, afin d’être libre, au moment décisif, de dégarnir les provinces

  1. Mémoires, p. 376.