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mais il faudrait, pour l’obtenir, entamer le territoire fédéral germanique et risquer de voir une partie de l’Allemagne se compromettre à la remorque de l’Autriche ; la ligne du Tagliamento, ou même celle de la Piave, vaudraient donc mieux, à la condition pourtant qu’aucun point du quadrilatère ne resterait au pouvoir de l’Autriche. Telles étaient quelques-unes des combinaisons dont la France et la Prusse pourraient, le cas échéant, poursuivre l’accomplissement. Le cabinet de Berlin, cependant, s’exposerait, en procédant ainsi, à mécontenter la Russie, toujours soucieuse de ses intérêts sur le Danube ; il fallait donc que l’amitié de la France reposât sur des bases solides et que le gouvernement de l’Empereur, « auquel la Prusse reconnaîtrait le droit de s’étendre éventuellement, partout où on parle français dans le monde, consentit à garantir, par un bon vouloir constant, la Prusse contre les dangers, dont elle serait menacée d’un autre côté. »

Drouyn de Lhuys ne laissa pas tomber cette importante confidence. Il y répondit textuellement : « Avant de quitter Berlin pour se rendre en France, M. de Bismarck a bien voulu vous faire part des vues que la situation générale lui suggère sur nos rapports avec la Prusse, et il est entré avec vous à ce sujet dans des développemens que vous m’avez transmis. J’ai trouvé, dans les idées exposées par M. le président du Conseil, un témoignage de confiance dont j’apprécie toute la valeur et auquel je suis très sensible. Mais vous avez bien compris que vous n’aviez point d’opinion à exprimer sur des combinaisons purement éventuelles et dont le caractère demeure entièrement hypothétique. »


IX

Bismarck nous avait dit, à propos de la rétrocession au Danemark des Danois du Sleswig : « Je ne demande pas mieux, mais, n’étant pas Dieu le père, je suis obligé d’attendre l’heure de la marée. » À la veille de son départ pour Biarritz il fut fort contrarié par un incident qui dévoilait trop tôt ses intentions réelles.

Le commandement du Sleswig avait été confié au général Manteuffel, chef du cabinet militaire du Roi. C’était une figure fort originale que celle de ce général. Espèce de chevalier-moine, il unissait à ses fonctions militaires celles de chanoine