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Vénétie. Il éprouva une de ces commotions intérieures que son visage ou ses paroles ne décelaient jamais, mais qu’il épanchait dans un écrit ou dans un acte. Il ordonna à Drouyn de Lhuys d’exprimer son mécontentement dans une circulaire, non destinée à la publicité, mais dont chacun de nos agens donnerait lecture aux ministres auprès desquels ils étaient accrédités.

Cette circulaire fut d’une belle allure : « L’Allemagne voulait un État indivisible de Sleswig-Holstein, séparé du Danemark et gouverné par un prince dont elle avait épousé les prétentions. Ce candidat populaire est mis de côté aujourd’hui, et les Duchés, séparés au lieu d’être unis, passent sous deux dominations différentes. — Est-ce l’intérêt des Duchés eux-mêmes qu’ont voulu garantir les deux puissances ? Mais l’union indissoluble des territoires était, disait-on, la condition essentielle de leur prospérité. — Le partage a-t-il au moins pour but de désagréger deux nationalités rivales, et de faire cesser une existence indépendante ? Il n’en est pas ainsi, car nous voyons que la ligne de séparation, ne tenant « aucun compte de la distinction des races, laisse confondus les Danois avec les Allemands. — S’est-on préoccupé du vœu des populations ? Elles n’ont été consultées sous aucune forme, et il n’est même pas question de réunir la Diète sleswig-holsteinoise. — Sur quel principe repose donc la combinaison austro-prussienne ? Nous regrettons de n’y trouver l’autre fondement que la force, d’autre justification que la convenance réciproque des deux co-partageans. C’est là une pratique dont l’Europe actuelle était déshabituée, et il en faut chercher les précédens aux âges les plus funestes de l’histoire. »

L’Empereur, dans un dîner en petit comité (28 août), à Fontainebleau, exprima lui-même à Goltz son pénible étonnement : « La question des Duchés, lui dit-il, a toujours été difficile à comprendre ; maintenant je n’y comprends absolument rien du tout ; votre nouveau traité est en contradiction flagrante avec les conséquences du programme que vous adoptiez jusqu’ici : il vous donne l’apparence de faire le contraire de ce que vous avez promis. » — Goltz se défendit en faisant ressortir le caractère provisoire du traité, dont le but était d’apaiser l’anarchie qui régnait dans le pays : le Roi avait préféré cet accord à une rupture dont on ne pouvait calculer les conséquences, d’autant plus qu’il avait fait savoir à Berlin qu’on pouvait compter sur la neutralité de la France tant qu’il s’agissait du conflit