Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/486

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des télégrammes trop courts pour qu’on puisse en donner tous les détails, mais malheureusement trop précis pour qu’on puisse douter de son étendue. Les dernières nouvelles le présentent comme encore plus grand qu’on ne l’avait d’abord estimé. Tout a péri. Un linceul de lave, de boue et de cendre couvre aujourd’hui la ville de Saint-Pierre. À peine quelques vingtaines d’habitans ont pu être sauvés. Les noms d’Herculanum et de Pompéi viennent inévitablement à la mémoire à cause des souvenirs classiques qui s’y rattachent et des fouilles qui y ont été faites ; mais l’événement qu’ils rappellent, quelque sinistre qu’il ait été, n’est pas comparable à celui d’hier, car la population des deux villes romaines était moins nombreuse que celle de Saint-Pierre, et la plus grande partie a pu s’enfuir et se sauver. Il semblait que l’ère de ces grandes convulsions terrestres était close. Comment oublier pourtant qu’il n’y a pas encore vingt ans, en 1883, l’éruption du Krakatoa accompagnée d’un gigantesque raz de marée a fait périr 40 000 personnes, dit-on, et presque complètement englouti une des îles de l’archipel de la Sonde ? L’imagination est saisie d’épouvante devant ces phénomènes qui laissent l’homme misérablement désarmé à l’encontre de la nature brutale et meurtrière. On croit entendre le cri de terreur et d’horreur qui s’est élevé de ces milliers de poitrines aujourd’hui muettes, vaine protestation de l’humanité si cruellement frappée. Un tel événement n’intéresse pas la France seule, à qui appartient la Martinique : l’émotion en a été ressentie dans le monde entier, et de tous côtés nous viennent des témoignages de sympathie dont nous sommes touchés profondément. Mais ce sont des Français qui ont péri, au nombre d’une trentaine de mille, de plus peut-être, dans ce tragique désastre, et les expressions manquent pour dire quelle angoisse cette pensée laisse dans nos cœurs. Devant ce spectacle de désolation et de mort, on ne peut que se recueillir dans le sentiment de son impuissance : et cependant il faut se remettre à l’œuvre pour réparer tant de ruines, car la vie doit avoir sa revanche, et Naples continue de prospérer au pied du Vésuve, à quelques pas de Pompéi et d’Herculanum ensevelies.

Francis Charmes.


Le Directeur-Gérant,

F. Brunetière.