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exécutée qu’elle soit pleinement efficace sans qu’on puisse lui reprocher rien qui ressemble à de la barbarie. C’est l’obligation imposée autrefois à Shylock, qui s’exposait à perdre la vie s’il prenait une parcelle de chair et une goutte de sang en plus de ce qui lui était strictement dû. On le voit, le discours du comte Goluchowski ne serait pas très rassurant si la Russie n’y était pas représentée comme décidée à suivre la politique qui lui est indiquée. À cet égard, le progrès est sensible sur l’année dernière. Alors, le comte Goluchowski avait des inquiétudes au sujet de l’entente austro-russe ; aujourd’hui il n’en a plus aucune, et cela est heureux en présence d’une situation qu’U nous montre sous des couleurs aussi sombres. Évidemment, ce n’est pas l’optimisme qui domine dans son discours : il n’y en a du moins que dans la partie qui se rapporte au renouvellement de la Triple Alliance. Là tout est pour le mieux ; ailleurs tout est embrouillé. Les nuages se sont épaissis sur les Balkans. Malgré cela, nous croyons très fortement au maintien de la paix en Orient. Les nuages se dissiperont, ou s’éloigneront : et si on nous demande où nous prenons cette confiance, elle nous vient de celle que nous avons dans l’entente austro-russe, et de la conviction où nous sommes que ni l’une ni l’autre des deux puissances ne poursuit en ce moment de but particulier. Or il n’y a pas pour la révolution de génération spontanée dans les Balkans : il suffit qu’aucune grande puissance n’en sème et n’en encourage le germe, pour que l’éclosion en soit ajournée à un temps indéterminé.

Nous ne pouvons pas terminer cette chronique de la quinzaine sans mentionner la catastrophe qui vient de se produire à la Martinique. Une éruption volcanique a complètement anéanti la ville de Saint-Pierre, qui contenait 25 000 habitans, et qui était une des villes de commerce les plus actives des Antilles. Elle était pleine de vie et de mouvement. La mer d’un côté, la campagne couverte de cannes à sucre de l’autre en faisaient à la fois une ville industrielle et commerçante. Elle était riche et prospère. Mais à quelques kilomètres au nord-est se dressait Montagne-Pelée, volcan depuis longtemps éteint, qu’on avait cessé de craindre, auquel même on ne songeait plus, tandis qu’un travail obscur se faisait dans ses flancs et préparait une explosion formidable. La soudaineté en a été telle que personne, ou bien peu s’en faut, n’a pu s’échapper. En quelques minutes, une pluie de feu, de boue bouillante et de rochers est tombée sur la ville, sur la rade, et sur tout le nord de l’île, détruisant maisons et vaisseaux et ne laissant rien subsister de ce qui y vivait. Le désastre ne nous est encore connu que par