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et que leur conciliation s’opérait dans des régions si élevées que l’influence des intérêts matériels ne s’y faisait pas sentir, et ne pouvait, en tout cas, y causer aucune perturbation. C’était là une conception un peu « sublime », si l’on nous permet d’employer à notre tour une expression dont le comte Goluchowski s’est servi dans son discours pour caractériser le but de la Triple Alliance. Cette année, il ne va plus aussi loin dans la différence qu’il fait entre la politique et le commerce. « Quant à la connexité des questions politiques avec les questions économiques, il n’est pas possible, dit-il, d’avoir une alliance politique et une guerre économique. » Cette opinion, qui a toujours été la nôtre, est nouvelle dans sa bouche. Il s’est aperçu que, si l’homme ne vivait pas seulement de pain, il en avait pourtant besoin pour vivre, et que la tâche de son gouvernement était de le lui assurer. Les questions commerciales deviennent de plus en plus, entre les États, les questions politiques par excellence. Il est peu probable, en somme, que les stipulations politiques de la Triple Alliance aient l’occasion d’être appliquées de sitôt, tandis que celles des traités de commerce s’appliquent tous les jours. Elles déterminent en grande partie les conditions d’existence des peuples. Aussi le comte Goluchowski conclut-il dans son discours à la délégation autrichienne qu’il « faudra que tous les gouvernemens s’efforcent d’obtenir la concordance des rapports économiques avec les rapports politiques. » Nous souhaitons sincèrement qu’ils y réussissent.

Enfin le comte Goluchowski a consacré une partie considérable de son discours à la question des Balkans. Cette question, qui intéresse toute l’Europe, mais d’une manière plus étroite l’Autriche-Hongrie et la Russie, permet dans une certaine mesure de se rendre compte du degré d’intimité et de confiance que présentent les rapports de ces deux grands pays. Au fond, lorsque l’Autriche et la Russie sont parfaitement d’accord pour maintenir le statu quo dans les Balkans, il y a peu de danger de le voir troubler, quelle que soit d’ailleurs l’activité des impatiences et des intrigues qui se produisent sur un point ou sur un autre. Il y a cinq ans, en 14897, l’Autriche et la Russie ont établi entre elles une entente, qui a été de part et d’autre loyalement respectée depuis lors, en vue d’écarter des régions balkaniques tout ce qui pourrait en troubler la tranquillité. « Dès le moment, dit à ce sujet le comte Goluchowski, où on a pu constater sans conteste que ni nous ni la Russie ne poursuivions des projets égoïstes en Orient, et moins encore ne cherchions d’augmentations territoriales, il a fallu logiquement que la méfiance, qui compromettait depuis des années les relations