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faction, ni aux exaltés de droite, ni aux exaltés de gauche. Des prophètes de malheur annonçaient dès lors, non sans quelque vraisemblance, qu’il serait cruellement écrasé entre les deux armées en présence, et que la victoire, de quelque côté qu’elle se prononçât, serait faite à ses dépens. Les socialistes et les réactionnaires devaient se partager ses dépouilles. Il n’en a rien été. Après la bataille, et lorsque la fumée commence enfin à en tomber, on trouve le parti libéral sain et sauf. Il a perdu, il est vrai, quelques-uns de ses membres les plus sympathiques et les plus utiles, comme M. Alicot ; mais tous ses chefs de file ont été réélus sans exception dès le premier tour de scrutin. Aucun ne manque à l’appel. On ne peut pas en dire autant des socialistes, ni des radicaux. Les premiers ont perdu M. Viviani, leur plus brillant orateur, M. Allemane, M. Jourde, M. Zévaès, et leur représentant au ministère, M. Millerand, n’a passé au second tour de scrutin qu’à 300 voix de majorité. Il avait eu 3 000 voix de plus il y a quatre ans. Il s’en est fallu de peu qu’il ne restât parmi les morts. Tout ce qu’on peut dire de lui, ainsi que de M. Brisson, c’est qu’ils se sont tirés d’affaire. Mais le radicalisme a été atteint dans la personne de M. Brisson. Il l’avait été déjà, et d’une manière irrémédiable, dans celle de M. Mesureur. En somme, contrairement aux espérances des uns et aux craintes des autres, les radicaux n’ont pas gagné de terrain, et les socialistes en ont perdu. Ces derniers devaient être légion dans la nouvelle Chambre ; leur phalange y revient, au contraire, un peu amoindrie.

Si on les considère à ce point de vue, qui est le vrai, les élections auraient sans doute pu être meilleures, mais on ne peut pas dire qu’elles soient mauvaises. Le pays a montré qu’il ne se laisserait pas entraîner aux extrêmes. Il a condamné le sociahsme ; il abattu froid au radicalisme ; il a échappé à l’énorme pression officielle qu’on a exercée sur lui. La nouvelle Chambre ressemble, avons-nous dit, à la dernière ; mais peut-être serait-il injuste de juger celle-ci par ce qu’on lui a fait faire. Lorsqu’elle est sortie, au mois de mai 1898, des élections de cette époque, on aurait certainement pu en tirer un autre parti : par malheur, on ne pouvait compter pour cela sur aucun des ministères qu’on lui a successivement infligés, et moins encore sur le dernier que sur tout autre. Le ministère Waldeck-Rousseau s’est imposé à elle comme un fait qui l’a d’abord étonnée et révoltée, mais avec lequel il a fallu composer ensuite. Ce ministère a duré, on sait par quels moyens. Grâce à sa durée même, aussi bien qu’à la proximité des élections, la Chambre s’est peu à peu divisée en deux partis,