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Spencer renonce désormais à en écrire d’autres. Les idées qu’il y a exprimées sont assurément « importantes, » pour lui et pour nous ; mais le livre, dans son ensemble, est à n’en point douter une œuvre d’arrière-saison. Il abonde en redites, en digressions inutiles ; surtout il pèche par un défaut d’ordre et de suite, qui n’est pas rare chez beaucoup d’écrivains anglais, mais qui étonne singulièrement chez l’auteur des Premiers Principes. M. Herbert Spencer, le dernier fondateur de système qu’aura à signaler l’histoire de la philosophie, le fondateur d’un système dont le principal mérite est précisément dans son ampleur et dans son unité, — aussi bien se plaît-il lui-même à l’appeler toujours la philosophie synthétique, » — paraît désormais incapable de réunir, sous le lien superficiel d’une rubrique commune, des réflexions se rapportant à des aspects divers d’un même sujet. Parmi les quarante petits essais qui forment son livre, il y en a cinq ou six qui traitent de la morale, cinq ou six qui traitent de la sociologie, une dizaine qui visent des problèmes d’esthétique ; et rien n’aurait été plus facile que de séparer les unes des autres ces différentes séries d’essais, qui, ainsi groupés, auraient mis plus clairement en lumière la pensée de l’auteur. M. Spencer a préféré nous les offrir pêle-mêle, peut-être au hasard des momens successifs où il les a écrits ; après quatre pages sur les inconvéniens d’une gouvernementation excessive, nous passons à quatre pages sur Meyerbeer ; puis vient un morceau sur le patriotisme, un autre sur les progrès de l’immoralité ; et nous lisons ensuite une notice sur « l’éducation d’État, » qui est, en quelque sorte, la continuation directe de ce que nous avons lu vingt pages auparavant.

Ce défaut de composition est si marqué, à travers tout le livre, qu’il empêche d’abord d’attacher à celui-ci l’importance qu’il mérite. On est tenté de prendre le dernier ouvrage du vénérable philosophe anglais pour un simple recueil de notes et de boutades, quelque chose comme un supplément aux vingt gros volumes du Système de philosophie synthétique. Mais en réalité ce petit livre, pour peu qu’on le lise avec soin, a une portée supérieure peut-être à tel de ces gros volumes, d’un dogmatisme souvent un peu pénible. Il nous offre les mêmes idées, toutes ou à peu près ; et il nous les offre sous une forme vivante, telles qu’elles se sont présentées à l’esprit de M. Spencer avant d’être « incorporées » dans le mécanisme de son système. Nous les voyons ici au naturel, en regard des menus faits d’observation qui les ont suggérées ; et nous voyons du même couple prix que lui-même y attache, et la façon dont il les emploiera justifier, ou parfois à modifier, un système