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de théâtre et qu’ils excellèrent surtout à rendre les états de l’esprit ou de l’âme les moins dramatiques : la prière ou la méditation. Ce n’est point un hasard si l’apparition de l’opéra dans les premières années du XVIIe siècle coïncide avec la décadence des formes polyphoniques et la création d’un style nouveau. Ce style, en trois cents ans, s’est renouvelé plus d’une fois. Chacun des élémens de la musique l’a formé tour à tour. Verbal d’abord et récitatif, l’opéra ne tarda pas à devenir mélodique. Il le demeura longtemps. Mais par degrés, dans sa constitution et pour ainsi dire dans sa trame, on vit la symphonie s’introduire et l’occuper tout entier. En sera-t-elle éliminée à son tour et l’harmonie va-t-elle devenir le principe d’un régime nouveau ? Cela n’est pas impossible, et cela surtout — l’harmonie étant, nous l’avons vu, ce qu’il y a dans la musique de moins formel — cela ne s’accorderait pas mal avec le dédain croissant de la forme que professent et pratiquent certains compositeurs aujourd’hui.

Ceux-là, M. Debussy mérite de les conduire. Aucun n’est mieux qualifié que l’auteur de Pelléas et Mélisande pour présider à la décomposition de notre art. « Rien ne se crée dans la nature, » disent les savans, « et rien ne se perd. » Tout se perd et rien ne se crée dans la musique de M. Debussy. Après l’avoir entendue, on éprouve le malaise, l’angoisse, que ressent à certain moment le héros. On soupire avec Pelléas : « Il ne me reste rien, si je m’en vais ainsi. Et tous ces souvenirs, c’est comme si j’emportais un peu d’eau dans un sac de mousseline. »

Pourtant c’est quelque chose de plus, et de pire. Un tel art est malsain et malfaisant. Je sais des hommes distingués, même supérieurs, qui médisent de la musique et qui, non seulement ne l’aiment pas, mais la redoutent, l’accusant de porter atteinte à leur personnalité, d’affaiblir en eux la conscience et de la dissoudre. Ils ont raison contre cette musique-là. Elle nous dissout parce qu’elle est elle-même dissolution. Existant aussi peu que possible, elle tend à la diminution et à la ruine de notre être. Elle contient des germes non pas de vie et de progrès, mais de décadence et de mort.


Pour sentir et pour goûter la vie dans sa plénitude, il faut entendre Beethoven interprété par M. Édouard Risler. Ce jeune homme est aujourd’hui le « maître puissant et doux du piano, » comme Goethe appela Mendelssohn un jour. Maître d’un instrument et de tant de chefs-d’œuvre écrits pour cet instrument, une partie du royaume des sons est à lui. Je ne vois que Rubinstein à qui l’on puisse comparer,