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époques disparues, sortait presque entièrement de la littérature pour rentrer dans l’érudition. Les maîtres qu’on y rencontrait encore, tels que Taine, Renan, Fustel de Coulanges, faisaient œuvre de penseurs plutôt que de peintres. C’est dire que pendant une longue période, une faculté est restée sans emploi : l’imagination. Une des fonctions essentielles de la littérature a été délaissée : l’évocation pittoresque du passé.

En littérature comme ailleurs la loi est celle de l’équilibre : aussi était-il inévitable qu’il se produisit une rentrée en scène de l’imagination. Cela explique que, depuis quelque temps, le goût se soit si furieusement déclaré pour tout ce qui nous remet sous les yeux les aspects du passé. Le mouvement a commencé par la publication des « Mémoires » relatifs à l’Empire. Les Mémoires de Marbot ont eu plus de lectrices et ont défrayé plus de conversations de salon que les plus mondains des romans d’amour. L’impulsion était donnée : à la manie de la modernité a succédé la passion du rétrospectif. L’histoire est redevenue narrative et pittoresque, soit que M. Houssaye nous fit suivre, étapes par étapes, les dernières campagnes de Napoléon, heure par heure sa dernière bataille, ou que M. Albert Vandal nous présentât le tableau de la France du Directoire. L’anecdote, le détail intime, tout ce qui nous permettait de reconstituer dans son cadre exact la vie d’autrefois, était assuré de trouver notre curiosité en éveil : les études de M. Frédéric Masson sur la famille impériale, celles de M. Lenôtre sur le Paris révolutionnaire, celles de M. de Nolhac sur Marie-Antoinette, celles de M. Frantz Fünck-Brentano sur l’affaire du Collier, répondaient au ‘même besoin. Et nos lecteurs nous rappelleraient, si nous oubliions de les mentionner, les pages si brillantes et si vivantes que Mme Arvède Barine consacrait ici même à la Jeunesse de la Grande Mademoiselle. Cet impérieux désir de s’échapper hors de l’époque pré- sente est aussi bien la première cause du prodigieux accueil fait à des œuvres telles que Cyrano de Bergerac et Quo vadis qui, en d’autres temps, n’auraient eu probablement que le succès auquel leurs mérites leur donnaient droit. Le roman français devait à son tour subir l’influence générale : l’histoire allait en reprendre possession-et, puisque d’ailleurs elle n’y était pas une nouvelle venue, s’y retrouver chez elle.

À ce goût renaissant pour l’histoire s’est ajoutée récemment une autre influence, due à la transformation des études psychologiques. On comprend sans peine que psychologie et roman doivent se modifier de façon parallèle. La psychologie [était jusqu’à ces derniers temps restée individuelle ; elle s’était seulement, vers le milieu du siècle,