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Route longue qui suit des fossés et des ronces,
Petite église avec quelques maisons autour,
Chemins lourds et creusés où la charrette enfonce,
Cloche qui sonne un peu pour la mort ou l’amour.

O pauvreté profonde et chaste des campagnes,
Fatigue des corps las qui se couchent le soir,
Silence de la vie aride qu’accompagnent
Le sifflement des faulx et le bruit des pressoirs...

— Mon âme, voyez-les, ces marins de la terre,
Dans la houle des blés soulevés, ce matin,
Et que votre bonté aille vers ce mystère.
Vous qui ne connaissez des champs que les jardins.


LA CHANSON DE DAPHNIS


Je ne sais plus si l’air est tendre, si le jour
Est joyeux, le sel vif, la cannelle odorante,
Mon âme en toute chose est désormais errante
Sauf en la certitude heureuse de l’amour.

— Quand, pour prendre un citron, tu courbes une branche
Et te hausses un peu aux pierres du chemin,
Je ne vois le fruit d’or que si je vois ta main,
Et la couleur du jour que par ta jambe blanche.

Je sais que rien n’existe où ne sont pas mêlés
Ton désir et le mien asservis et farouches,
Et je n’ai soif de l’eau que si tu mets ta bouche
Au bord du beau ruisseau plein de cailloux roulés.

Je ne crois pas au temps, au soleil, aux orages.
Je ne crois qu’à l’amour triste et doux seulement.
— C’est le jour quand tu ris, et la nuit quand tu mens.
Et l’infini s’épuise au lac des deux visages
Quand mon tourment avide aspire ton tourment...