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II

L’idée de justice sociale enveloppe celle d’équité, qui elle-même enveloppe celle d’égalité, fondement de la démocratie. La justice a pour but de rétablir une certaine balance entre le fort et le faible au sein de la société humaine. La loi naturelle du triomphe des plus forts se trouve ainsi compensée par le principe démocratique de l’égalité des droits entre les faibles et les forts. Le principe d’égalité ! Il n’y a pas pour Nietzsche « de poison plus empoisonné. » Cette doctrine de la Révolution a beau paraître prêchée « par la justice en personne, » elle est « la mort de toute justice. »

Zarathoustra compare les prédicateurs de l’égalité aux tarentules qui veulent tout envelopper dans leurs pièges :


Regarde ! voici le repaire de la tarentule ! Voici la toile qu’elle a tissée : touche cette toile, pour qu’elle se mette à trembler.

Mes amis, je ne veux pas que l’on me mêle et que l’on me confonde.

Il y en a qui prêchent ma doctrine de la vie, mais ce sont en même temps des prédicateurs de l’égalité et des tarentules…

C’est avec ces prédicateurs de l’égalité que je ne veux pas être mêlé et confondu. Car ainsi me parle la justice : — Les hommes ne sont pas égaux.

Ils ne doivent pas non plus le devenir ! Que serait donc mon amour du Surhomme si je parlais autrement.

C’est sur mille ponts et sur mille chemins que les hommes doivent se hâter vers l’avenir, et il faudra mettre entre eux toujours plus de guerres et d’inégalités ; c’est ainsi que me parle mon grand amour !


Zarathoustra compare ensuite magnifiquement la société humaine à un vieux temple dont il aperçoit les ruines et qui ne s’élève vers le ciel que grâce à la diversité de ses colonnes et aux forces contraires de ses arceaux.


En vérité, celui qui dressa jadis ses pensées,’édifice de pierre, vers les hauteurs, celui-là connut le secret de la vie, comme le plus sage d’entre tous !

Que, dans la beauté même, il y ait encore de la lutte et de l’inégalité et une guerre de puissance et de suprématie, c’est ce qu’il nous enseigne ici dans le symbole le plus lumineux.

Comme les voûtes et les arceaux se brisent ici divinement dans la lutte ! Comme la lumière et l’ombre se combattent en un divin effort !

Ainsi, sûrs et beaux, soyons ennemis nous aussi, mes amis ! Efforçons-nous divinement les uns contre les autres !