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déserte, piétinée, semble-t-il, labourée par les pieds des troupeaux. Et en effet l’industrie du bétail est avec les céréales la principale industrie de Poltava ; toutes ses grandes places, — il y en a plusieurs, — sont des places de marché. Dans l’intervalle des marchés on n’y rencontre que quelques rares passans : parmi eux, des femmes qui, bottées comme les hommes, avec la même redingote à gros plis massifs que l’on dirait ouatés, portent sur l’épaule un long bâton courbe, aux deux extrémités duquel se balancent des cruches ou des bannes de roseaux tressés remplies de légumes et de fruits. Les rues qui aboutissent à ces places désolées, sauf quand les transactions commerciales les remplissent de bruit et de tumulte, sont munies de trottoirs en planches, exactement semblables aux sidewalks des petites villes d’Amérique qui, elles aussi, peuvent disposer de beaucoup de bois et s’en servent pour remédier à l’état des chemins impraticables. Il existe cependant ici des rues mieux entretenues, des boulevards. L’École du corps des cadets s’entoure d’un joli parc circulaire. Beaucoup de marchands de tabac, — indiqués par des odalisques, le narghilé à la bouche. A côté de constructions plus que modestes se dressent orgueilleusement les grands bâtimens neufs ; entre autres la Maison du peuple dont je visite la bibliothèque en attendant que les autres sections soient ouvertes. Un théâtre devait en faire partie ; mais une fois achevé, on l’a trouvé trop beau, on l’a réservé pour la ville. Tout cela d’une assez imposante architecture, désagréablement badigeonnée par malheur de couleur abricot.

La principale curiosité de Poltava est peut-être le Musée des arts industriels où sont rassemblés les produits des industries de villages, bien moins nombreuses, je crois l’avoir dit, dans la Petite-Russie que dans la Grande, mais cependant très intéressantes. Les étoffes de laine et de chanvre tissées pendant l’hiver dans les chaumières ; les cuirs ; la céramique où se manifeste un goût singulier hérité des ancêtres et guidé depuis peu vers des voies nouvelles par les comités qui la protègent ; les industries du bois, dont certains instrumens aratoires et la pavozka, appelée ailleurs téléga, m’avaient déjà un peu partout donné l’échantillon ; les toiles, si artistement brodées de dessins transmis sans doute d’une génération à l’autre, voilà le fond de la collection, à laquelle s’ajoutent des spécimens d’histoire naturelle qui vous mettent au courant de la géologie locale, des qualités