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rendent la ville assez malsaine, sur la verdure fraîche des marais, couraient et frémissaient de grandes ombres : c’était d’un effet merveilleux que je n’ai plus retrouvé à d’autres heures, quoique les environs immédiats de Kharkov soient certainement pittoresques. La silhouette générale de la ville est dominée par l’immense Institut technologique bâti en brique rouge sur la hauteur ; Kharkov n’est pas seulement un grand centre de trafic, c’est aussi un foyer de science. Je m’en aperçois dès ma première promenade dans les quartiers neufs où s’étendent les vastes et nombreux bâtimens de la Faculté de médecine. L’Université, fort laide au dehors, n’en compte pas moins parmi les plus importantes de la Russie. Le Musée municipal des arts industriels ferait envie aux grandes villes de provinces françaises, qui ont si peu de collections de ce genre. J’ajouterai que l’Amérique elle-même n’offre rien de plus grandiose, en fait de temple tout battant neuf consacré à la science, que cette école de technologie qui pourrait avoir été bâtie par Richardson. Des avenues plantées d’arbres l’entourent de tous côtés et, d’une terrasse voisine, on découvre au loin la campagne. Cette terrasse et la gare, vraiment monumentale, sont les buts de promenade favoris de la population kharkovienne.

Le dimanche surtout, l’animation de la ville se concentre dans la gare, les magasins étant clos, les rues presque désertes. Il n’y a pas comme chez nous de distinction entre les diverses salles d’attente et le buffet. Tout le monde parcourt librement l’immense hall décoré avec luxe, au milieu duquel se dresse une longue table. Des tables plus petites bordent les murs ; aux extrémités quelques étalages de cigares, de livres, de photographies ; deux ou trois petits salons particuliers où l’on peut se faire servir à dîner, et une chambre spéciale pour les dames. Il va sans dire que les voyageurs de troisième et de quatrième classes ne s’aventurent guère dans ce somptueux local ; on leur en indique un autre, très convenablement aménagé. Il n’y a pas de meilleurs chemins de fer sous tous les rapports, à la très grande vitesse près, que les chemins de fer russes. Tandis que vous attendez le train, des domestiques, tartares comme presque tous les garçons de café en Russie, s’empressent discrètement autour de vous. D’innombrables porteurs reconnaissables à leurs tabliers et à un grand numéro de cuivre qui permet de les retrouver, viennent prendre vos ordres pour les « bagages à la